jeudi, avril 02, 2015

De Dolmabahçe à Süleyman Şah Türbesi, Öcalan recadre historiquement les Kurdes










En février dernier, Abdullah Öcalan avait appelé sa guérilla à déposer les armes, et présenté « dix points » considérés comme « essentiels » pour la résolution de la question kurde en Turquie. La teneur très inconsistante et plus que floue de ces dix articles n’a pas été éclaircie dans le message lu au Newroz par les responsables du parti HDP. Le seul point clair est l’appel au désarmement du PKK.  Pour le reste, plus ne rien ne subsiste des anciennes revendications culturelles, linguistiques et bien sûr politiques, au moins au niveau régional. Il y a aussi impasse totale sur la fameuse confédération démocratique ou autonomie démocratique qui avait fait tâche d’huile au Rojava.

Pour comprendre le nouvel esprit du Newroz 2015, il est intéressant de comparer mot pour mot la teneur, les thèmes et la mythologie inspirant les deux discours « historiques » devant amener la retraite et finalement la capitulation du PKK, entre celui de mars 2013 et celui de cette année.

Pour commencer, le cadre historique, voire civilisationnel, dans lequel Öcalan a inscrit ses deux discours, change du tout au tout :  Le premier s’adressait à l’aire culturelle du Nerwoz, c’est-à-dire tout le Moyen-Orient et l’Asie centrale, et, dans un éloge de la Mésopotamie, replaçait le peuple kurde dans un vaste ensemble oriental où, aux côtés des Arabes, des Perses, des Turcs, ils étaient sommés de se dresser contre « l’impérialisme occidental », vu comme la source de tous les maux dont souffre l’ensemble de la région, Occident dont les « guerres de conquêtes et d’ingérence » auraient dressé les peuples entre eux en traçant les frontières des États-Nations : 

« Les mentalités colonialistes, négationnistes et répressives n’ont plus de raison d’être. Les sociétés du Moyen-Orient et de l’Asie centrale s’éveillent et reviennent à leurs origines. »

En somme, toutes les guerres d’extermination qu’auraient subies les Kurdes ne sont pas à mettre au compte des Arabes, des Turcs ou des Persans, mais à celui du post-colonialisme. C’était, au fond, un remix du « tiers-mondisme » en révolte contre l’impérialisme occidental, mais tiers-monde limité à un Orient musulman rêvé, essentialisé, qu’il invitait à revenir à un âge d’or tout aussi anhistorique, aussi pacifique que l’Eden :

« Cette civilisation antique et vieille de plusieurs millénaires, les Kurdes l’ont construite dans la fraternité avec diverses ethnies et religions, et y ont vécu dans la paix avec celles-ci. »

Et ce qui a donc mis fin à cette ère paradisiaque est l’invention politique du mal absolue : l’État-nation. En ceci, ce qu'il faut voir comme la cible principale : l’indépendance du Kurdistan, le séparatisme kurde, n'a pas varié.

Par contre, en 2015, les causes ou les responsables changent subtilement. Finie la grande fraternité des peuples d’Orient et d’Asie centrale, aux côtés des « politiques néolibérales imposées au monde entier par le capitalisme impérialiste » il y a leurs « collaborateurs despotiques régionaux » (comprendre : tous les États voisins que l’on veut, hormis la Turquie).

De même qu’en 2013, le moment où Öcalan choisit de délivrer ses discours est inévitablement qualifié de « stade historique » (en 2013 il s’agissait du « point où les idées et la politique doivent prendre les devants »), moment qui impose d’abandonner le recours aux armes : 

« La lutte jalonnée de souffrances menée par notre mouvement durant quarante ans n’a pas été vaine; mais elle a aujourd’hui atteint un stade qui implique un changement de forme. » 

Ce qui était déjà dit en 2013, quand il ne s’agissait que de retirer les troupes du PKK de Turquie : 

« Il est temps que les armes se taisent. Nous sommes arrivés à un point où les idées et la politique doivent prendre les devants. » 
Deux ans plus tard, un pas supplémentaire est franchi, au moins en paroles, puisqu’il est demandé au PKK non plus une retraite mais une capitulation (le mot n’est jamais prononcé, mais il s'agit, dans les faits de cela, hormis la reddition à l'ennemi, et encore). Cette défaite est pudiquement nommée « nouveau processus », ce qui ne fait que répéter le discours de 2013, même si l'on ne sait plus trop s’il s’agit du même processus qui n’en finirait pas de « débuter » : « Un processus essentiellement politique, social et économique débute » ; ou bien d’un autre, qui succéderait à son prédécesseur.

Quoi qu’il en soit, le «nouveau  processus 2015 » ne s’applique pas à l’ensemble des peuples du Moyen -Orient et de l’Asie centrale. Il s’agit ici d’un chapitre de l'histoire « turque »  proclamé « officiellement dans l’historique palais de Dolmabahce » et lu à Diyarbakir, qui n’apparait plus, maintenant, que comme une capitale provinciale recevant ses directives de la nouvelle Sublime Porte. Ni la population, ni la région sommées de s’incliner devant ce « firman » ne sont nommées, au contraire de 2013, où le « peuple kurde », et le « Kurdistan » revenait sans cesse : « les Kurdes », le « peuple kurde », les « sociétés d’Anatolie et du Kurdistan » (en plus des Arméniens, des Assyriens, des Arabes et des autres), sauf en tant que victimes de Daesh, c’est-à-dire parmi les populations vivant dans la « région », mais hors de Turquie.

Ce qui est demandé, cette fois, n’est donc plus le simple retrait mais la « fin de la lutte armée » à l’issue d’un Congrès qui, censé adopter à l’unanimité les nouvelles visées du leader, déchargerait en même temps ce leader de tout soupçon de trahison ou de reddition désastreuse pour les Kurdes, puisqu'étant censée exprimer la « voix du Peuple ». Au contraire du discours de 2013 qui appelait à une réconciliation des peuples kurdes et turcs, il ne s’agit plus de la guerre des Kurdes et des Turcs, mais de « la lutte armée menée depuis près de quarante ans par le PKK contre la République de Turquie ». Ainsi, en 2015, le processus de paix ne concerne plus que les Turcs et un mouvement politique sans particularité ethnique, qui pourrait tout aussi bien être le DHKPC ou tout autre mouvement d’extrême gauche ayant encore recours aux armes.

Après le congrès du PKK et son adieu aux armes, quel sera le programme ? 

« la construction d’une société démocratique jouissant d’une identité démocratique et fondée sur une citoyenneté libre et égalitaire garantie constitutionnellement, dans le cadre de la République de Turquie. » 

Exit donc la notion vaste et fumeuse de confédération du Moyen Orient ou « autonomie démocratique », sans États ni capitale que le PKK et le PYD n’a cessé de marteler aux oreilles des infortunés Kurdes syriens (et ensuite à celles des yézidis de Shingal). Il s’agit même de tirer un trait sur toutes les révoltes kurdes qui ont jalonné l’histoire de la Turquie moderne (et donc celle du Kurdistan  de Turquie) :
« Ainsi, nous laissons derrière nous les 90 ans de conflits qui ont marqué l’histoire de la République de Turquie, et marchons vers un avenir façonné par les critères de la démocratie universelle et fondé sur une paix véritable. »

Sur quels principes politiques doit s'appuyer cette paix ?  Ici revient le discours anti-États-nations, fruits de l'impérialisme capitaliste (même si le capitalisme de nos jours a plutôt tendance à être mondialisant mais apparemment, Öcalan a manqué une étape entre le XXe s. et le XXIe s. ). : 

« La réalité de l’impérialisme capitaliste, telle qu’elle se manifeste en particulier depuis un siècle, est la suivante: renfermer sur elles-mêmes les identités religieuses et ethniques, contrairement à leur essence, et les mettre en opposition sur la base du nationalisme de l’Etat-nation » 

Cette charge contre l’État nation, forme d'un complot capitaliste, était déjà présente dans le discours de 2013 : 

« La fondation de pays sur des bases ethniques et nationales unitaires fait partie des objectifs inhumains de la modernité capitaliste, et renvoient à la négation de nos origines. » 

Sauf qu’à l’époque, il s’agissait de dissoudre tôt ou tard tous les États existants, alors qu’en 2015, apparemment, l’État-nation est toujours le mal absolu, et c'est pour cela que les Kurdes doivent devenir (ou rester)  citoyens de la République de Turquie, État qui lui, ne dépend pas du tout d’un « nationalisme conflictuel, harassant et destructeur », comme on a vu.

La résistance de Kobanî est saluée en fin de discours, mais cette louange est tout de suite suivie par un éloge de « l’esprit d’Eşme », allusion directe au sauvetage des gardiens du tombeau de Süyleman Shah, auquel les YPG ont prêté assistance. Rappelons que tout le long du siège de Kobanî, le PYD, le PKK et le HPD n'avaient pas de qualificatifs assez forts pour condamner la collusion entre Daesh et la Turquie, et que la résistance de Kobanî fut présentée tout autant comme une victoire contre l'État islamique que contre Ankara. Je ne sais si placer les deux opérations militaires à la suite et sur le même plan a beaucoup plu aux YPG, mais ils vont en entendre d'autres dans les mois à venir.

Que peut recouvrir la seule phrase qui exprime à peu près concrètement les nouvelles revendications d’Abdullah Öcalan concernant le peuple dont on ne doit plus prononcer le nom à Diyarbakir ?
« une citoyenneté libre et égalitaire garantie constitutionnellement, dans le cadre de la République de Turquie. »

Des droits linguistiques, culturels, administratifs ? passés à la trappe, semble-t-il. Plus aucune allusion à l’usage de la langue kurde dans l'’enseignement, et encore moins à l’enseignement des enfants en langue kurde, les identités religieuses et ethniques étant vues comme nuisibles (au passage, les églises syriaques qui réclament les même droits que les églises grecques et arméniennes en Turquie apprécieront) ; plus d'auto-administration locale, pas de particularisme culturel (la Turquie maintenant peut se permettre d’interdir la tenue traditionnelle des Kurdes, vue comme un uniforme de combattant et non pas l’expression d’un vêtement national). Il s’agit en fait de revenir à la situation des Kurdes en Turquie avant la guerre (hormis la violence physique), et qui se résumait ainsi dans la bouche des Turcs : « Il n'y a pas de discriminations contre les Kurdes (qui n'existent d'ailleurs pas) puisqu'ils jouissent des mêmes droits que nous, droits octroyés par la citoyenneté turque. »

Cette hostilité à un nationalisme kurde peut viser aussi les visées indépendantistes des Kurdes d’Irak mais de cela, les Kurdes du sud n’en ont cure, le PKK n’a jamais réussi à influencer la politique d'Erbil, et sa nouvelle popularité, acquise en faisant le coup de feu avec les Peshmergas contre Daesh, risque de fondre comme neige au soleil si le PKK continue de condamner verbalement l’idée d’un Kurdistan indépendant.

La situation du PYD sera, par contre, plus intéressante à suivre. Car que va-t-on demander de demander aux Kurdes de Syrie, maintenant que l’autonomie démocratique kurde apparait enterrée ?  « « une citoyenneté libre et égalitaire garantie constitutionnellement, dans le cadre de la République arabe de Syrie ? ». Mystère.  Mais en toute logique, si l’on suit la ligne anti-particularisme ethnique du PKK, les Kurdes du Rojava ne devraient même plus souhaiter être mentionnés en tant que nation dans la future constitution d’une future hypothétique nouvelle Syrie. Jusqu’ici écartelé entre le camp russo-syro-iranien et la fidélité au grand parti frère, le PYD devra-t-il choisir entre la ligne d’Ankara, soit alliance avec l'Armée syrienne de libération et l’opposition syrienne contre Damas, ou l’ancienne ligne prônée par Qandil, soit alliance avec le régime syrien, hostilité à la Coalition syrienne et aux frères musulmans ? Tant que l'EI reste le principal ennemi à abattre dans la région, ce choix reste en suspens.

Quant au KCK-PKK, il va bien sûr trainer des pieds, tenter de finasser, réclamer, par exemple comme Cemil Batik affirmant qu’il obéira à la décision du Congrès seulement si Öcalan siège lui-même à ce congrès, mais il y a peu de raisons que cette fois, une rébellion éclate alors que la couleuvre de 2013 (et tant d'autres) a déjà été avalée. Quant au HDP, il ne doit pas être fâché de voir son importance croître au détriment d’un mouvement de guerilla qui peut de moins en moins prétendre à lui imposer ses directives et son agenda politiques. 

La façon dont a été reçue cette nouvelle ligne politique par les Kurdes de la rue turque se traduira probablement dans les urnes aux prochaines législatives de juin. Les Kurdes de Turquie partagent ou alternent leurs votes entre l’AKP et les multiples avatars du parti kurde. Une victoire du parti au pouvoir donnera raison à Erdogan (à l’ouest comme à l’est de la Turquie) et à son affirmation « il n’y a pas de question kurde en Turquie ». À l’inverse, un bon score du HDP sera présenté comme un vote de confiance envers Öcalan et son processus de paix. 

Mais le parti kurde a une marge de manœuvre plus étroite que l'AKP, devant à la fois soutenir la politique d'Öcalan sans paraître inféodé au jeu d'Erdoğan aux yeux des Kurdes. Selahattin Demirtaş, dans sa campagne électorale, devra ainsi poser des exigences dans ce processus, au nom des Kurdes, mais sans avoir l’air de trop critiquer la politique laxiste d’Öcalan : auparavant, s'opposer à Erdoğan tout seul était plus simple. D’un autre côté, ne pas paraître demander pour son électorat un peu plus que ce qu’a l’intention de lui octroyer l'AKP pourrait inciter les Kurdes – à programme égaux – à voter pour le parti au pouvoir qui, lui, au moins, a possibilité de distribuer gratifications, privilèges et passe-droit à ses électeurs ou ses membres.


Interrogée sur les déclarations du président turc au sujet de l’inexistence d’une question kurde, le maire de Diyarbakir, Diyarbakır Mayor Gültan Kışanak, a approuvé : 
« C’est correct. Il n'y a plus de problème kurde en Turquie. Les Kurdes sont devenus une force fondamentale et une dynamique de démocratie. » 

Le seul problème vient, selon elle, de « mauvais adminsitrateurs qui résistent » et ne pensent pas « suffisamment démocratiquement, pluralistiquement et en faveur du peuple » (apprécions la langue de bois : il n'y a pas de mauvaise politique, il n'y a que d mauvais exécutants). Par contre, Kışanak reconnaît que les Kurdes sont encore privés de droits, notamment celui d’être éduqués dans leur langue maternelle, mais on ne voit pas trop sur lequel des 10 points proclamés dans l'historique palais de Dolmabahçe, le droit à cette éducation va pouvoir s’appuyer.

1 commentaire:

  1. Anonyme12:19 AM

    J'ai lu votre article avec beaucoup d'attention. Je me permets de vous dire juste ceci : vous êtes complétement à côté. Désolée et sans vouloir vous offenser, soit vous n'avez rien compris à ce qui se passe, soit vous avez juste repris des discours ambiants de critique d'Ocalan pour réaliser votre article qui n'est absolument pas scientifique contrairement à l'image que vous voulez produire. Juste un exemple : La solution proposée au problème kurde par les kurdes eux mêmes en Turquie n'a pas changé simplement « une citoyenneté libre et égalitaire garantie constitutionnellement, dans le cadre de la République de Turquie. » est une formulation qui synthétise et comprend évidemment "Des droits linguistiques, culturels, administratifs". Bien cordialement... une lectrice attentive

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