vendredi, janvier 30, 2015

Pourquoi la retraite au combat n'était pas infamante chez les Kurdes




Parlant des incessantes batailles entre tribus kurdes, Mollâ Mahmud explique que la retraite devant un ennemi plus fort en nombre était courante chez les Kurdes, qui laissaient même leur famille aux mains de l'adversaire :


Il y a un autre usage dans les combats entre les familles : si les Kurdes voient que l’ennemi est trop nombreux, et qu’eux-mêmes sont en petit nombre, tous montent en selle, quittent leur demeure et gagnent les montagnes escarpées. Une fois qu’ils sont loin et que leurs familles sont aux mains de l’ennemi, ils réfléchissent, fourbissent leurs armes et leur équipement, se concertent et s’exhortent à ne pas fuir. L’un d’eux dit: «Ah! mon fils Maho est resté aux mains de l’ennemi ! » et un autre dit : « Oh ! ma fille Aïchê est restée aux mains de l’ennemi ! » et ainsi, ils surenchérissent et se raffermissent mutuelle- ment. Dans le même temps, l’ennemi est occupé à piller et à s’emparer des biens. Alors, s’ils sont assez nombreux, les chefs de ces familles reviennent attaquer l’ennemi par surprise, tandis que, dans les demeures, leurs femmes et leurs filles leur prêtent main forte.

  
On comprend mieux cette sérénité relative à laisser femmes et gosses sur place, quand on lit juste après que les douces épouses kurdes en faisaient déjà voir de toutes les couleurs à l'ennemi :

Quand les Kurdes lèvent le camp pour se rendre dans un autre campement, ils emmènent leur famille. Les cavaliers armés de la zoma, tous lance à l’épaule ou en main, partent en avant-garde, et ce sont les femmes qui mènent la caravane, suivies par les troupeaux et les bœufs. On appelle ces cavaliers les pêtchkotchi [avant-garde]. Si des ennemis surgissent, ce sont eux, en avant, qui les affrontent. S’il y a bataille, les femmes, au milieu de la caravane, rassemblent leurs biens en un seul endroit et forment un carré. Elles s’y retranchent et mettent les enfants au milieu de ce carré fermé. Elles sortent fusils et pistolets et attendent l’issue de la bataille menée par leurs maris. Si les cavaliers réussissent à disperser l’ennemi, tout va bien, et elles seules, à nouveau, mènent la caravane et repartent. Mais si l’ennemi est plus fort que les cavaliers et que ces derniers prennent la fuite, elles reviennent au milieu de la caravane, se barricadent à nouveau, et luttent jusqu’à ce qu’un secours vienne de quelque part. Car il est d’usage, chez les Kurdes, que les hommes se dispersent pour chercher du secours. 

D'autant que si les femmes peuvent être tuées ou blessées au combat, une fois captives, il ne peut rien leur arriver, comme le précise le Mollâ :


Les tribus kurdes ne sont pas sanguinaires. Elles ne sont pas très enclines à verser le sang. Au combat et dans les brigandages, on se saisit des hommes, on les dépouille et on les relâche. 
À plus forte raison, les femmes captives étaient intouchables, on ne devait même pas les déjuponner, si bien que ce sont elles qu'on envoyait en ambassade pour négocier le "prix du sang" lors des vendettas, les circonstances précisément où le sang coulait de génération en génération : une fois que le meurtre était commis, c'était interminable, et là, tous les coups étaient permis, fusil, poison, incendies, mais toujours dirigés uniquement contre les mâles (les femelles s'entre-tuant, par contre, joyeusement dans les querelles privées).


Mais les femmes, chez les Kurdes, sont sacrées et ils ne portent pas la main sur elles. Ils n’ont pas d’hostilité envers les femmes et ont pour elles un grand respect. Aussi ce sont les femmes qui viennent demander pardon pour le prix du sang et elles obtiennent ce pardon.
Malheureusement pour les Kurdes – et on l'a encore vu à Shingal/Sindjar – leurs ennemis ont été et sont encore plutôt rares à avoir cette clémence envers les captifs, préférant appliquer la sourate de l'Anfal, bien moins généreuse et chevaleresque que les Urf û adetên Kurdan.

In Us et Coutumes des Kurdes, Mollâ Mahmud Bayazidi, traduction et présentation Joyce Blau et Sandrine Alexie, à paraître en mars 2015.

jeudi, janvier 29, 2015

1819 : les esclaves kurdes de Khiva

L'officier apprit que les jeunes Russes avaient le plus de valeur sur le marché des esclaves de Kiva. Les Perses valaient beaucoup moins et les Kurdes moins encore. "Mais d'autre part, une esclave féminine perse avait infiniment plus de valeur qu'une Russe." Les esclaves qui tentaient de s'échapper étaient cloués par les oreilles à une porte car ils avaient trop de valeur pour qu'on les exécute.
(…)

Muraviev affirmait que la conquête de Kiva serait facile et peu onéreuse. Il estimait qu'elle pouvait être réalisée par un commandant déterminé et que "trois mille soldats courageux" suffiraient. Sur place, une armée d'invasion découvrirait rapidement que des alliés fiables l'attendaient. Il y aurait, pour commencer, les belliqueuses tribus turkmènes peuplant les déserts qui devaient être traversés pour rallier Kiva. À la lueur de sa propre expérience, Muraviev garantissait qu'ils redoutaient le khan autant que ses propres sujets et qu'ils ne manqueraient pas de se rallier à ceux qui viendraient pour le détrôner. Dans la capitale, l'envahisseur pourrait compter sur l'appui d'une importante cinquième colonne : en plus des trois mille esclaves russes, dont beaucoup étaient d'anciens soldats, quelque trente mille Perses et Kurdes étaient retenus par la population de Kiva. Ils avaient tout à gagner, rien à perdre, à se joindre aux Russes.

Le Grand Jeu : Officiers et espions en Asie centrale, Chapitre VI :  Les premiers acteurs russes.



mercredi, janvier 28, 2015

Ma chambre syrienne



Mardi 3 février à 0 h 55 sur ARTE : Ma chambre syrienne, documentaire de Hazem Alhamwi (All., Fr., Sur., 2014).

Ancien étudiant des Beaux-Arts né en 1980, le réalisateur syrien Hazem Alhamwi se souvient de sa vie en Syrie, de son enfance à la révolution née du printemps arabe, en 2011. Dans un pays paralysé par l'oppression et le culte du chef, il a trouvé sa voie entre les quatre murs de sa chambre, dessinant comme un forcené pour traduire la peur et la douleur qui oppressaient voisins, amis, artistes et créateurs. Des dessins qu’en 2011, il commence à filmer pour les croiser avec les témoignages, parfois anonymes, de son entourage. Plusieurs de ses interlocuteurs, ayant déjà connu de longues années de prison, redoutent de nouvelles répressions. D'autant qu'entre le début du tournage et sa fin, il y a quelques mois, la situation n’a cessé d’empirer. Plus ou moins libre au début de la révolution, la parole est devenue dangereuse. Filmer, malgré le danger qui guette... 
Avec ce documentaire poignant, Alhamwi propose une immersion au cœur du drame syrien, et revient sur les origines de la guerre, en analysant l'implacable régime de terreur mis en place par les Assad, père et fils.

mercredi, janvier 21, 2015

Chronique de massacres annoncés






Une table ronde est organisée le 26 janvier par la Société d'études syriaques à propos du livre de Florence Hellot-Bellier :

Chroniques de massacres annoncés : Les Assyro-Chaldéens d'Iran et du Hakkari face aux ambitions des empires (1896-1920)


Elle rassemblera les interventions de l'auteur et de Bernard Heyberger, directeur d'études à l'EPHE, de Henry Laurens, professeur au Collège de France et de Herman Teule, professeur aux universités de Leuven et de Nijmegen. 

Elle se tiendra de 17 à 19h au Collège de France, 3 rue d'Ulm, 75005 Paris, salle du rez-de chaussée.



mardi, janvier 06, 2015

Syrie, enfants en guerre



Mardi 13 janvier à 23 h sur France 2 : Syrie, enfants en guerre, documentaire de Yuri Maldavsky (Fr., 2014, inédit) :


"En trois ans, près de 200 000 civils et combattants ont été tués en Syrie dans la guerre opposant les forces rebelles à celles de Bachar el-Assad. Tous les jours, les hélicoptères lâchent des bombes sur la ville rebelle assiégée d'Alep. Les bombes mais aussi les snipers, le manque d'eau et de nourriture rythment le quotidien des civils qui ont décidé de rester et de résister. Moatez, 13 ans se prépare à devenir combattant, comme son frère Hussein, 16 ans, déjà moudjahidin, qui a rejoint les rangs de l'Armée syrienne libre avec son père. A travers les regards croisés de ces deux frères, le film révèle les espoirs, les certitudes et les doutes de ces jeunes Syriens."

Concert de soutien à l'Institut kurde