vendredi, janvier 17, 2014

Guerre civile syrienne : impacts régionaux et perspectives (2)

QUELLES PERSPECTIVES




Joseph Bahout, professeur à Sciences-Po, a esquissé d’abord les effets de la crise syrienne sur le Liban, avant de passer aux perspectives politiques générale et à la conférence de Genève et de ce qu’on peut en attendre.
Ce qui distingue le Liban des autres pays de la région c’est sa forte polarisation et le clivage sunnite-chiite qui existaient avant la crise syrienne et les printemps arabes, exacerbé avec l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 (impliquant la Syrie), d’où part la ligne de faille libanaise, voire même dès les accords de Taef et la fin de la guerre libanaise, qui consacrait une tutelle syrienne.
Trois dossiers font que le Liban a plus qu’un pied dans la crise syrienne et que cette crise est aussi la sienne :
– la question des réfugiés : Le Liban a 3, 5 millions d’habitants avec entre 800 000 et 1 million 200 mille réfugiés syriens, ce qui amène à une proportion de 1 Syrien sur 3 ou 4 Libanais dans ce pays. Cette charge démographique et sociologique devient aussi économique et  aussi politique, avec un aspect communautaire : 90% de ces réfugiés sont sunnites, menaçant l’équilibre fragile libanais 1/3 sunnite, 1/3 chiite, 1/3 chrétien. Ces réfugiés sont politisés, très anti-régime et donc hostiles au Hezbollah, et les confrontations sont déjà là.
– le passage d’hommes, de matériel, d’argent, de réseaux combattants entre le Liban et la Syrie, et ce des deux côtés : le Hezbollah a des dizaines de milliers de combattants en Syrie qui traversent la frontière tous les jours ; des réseaux de combattants djihadistes sunnites radicaux partent aussi du nord et de la Bekka ouest, partant se battre à Homs, Idlib ou ailleurs. Un autre flux a contrario menace d’enflammer certains villages sunnites de la Bekaa ouest, dans une région à majorité chiite : des combattants de l’Armée syrienne de libération cherchent à y installer des bases arrière, dans une « promiscuité inflammatoire », avec des familles de combattants de lASL, des officers ou des cadres venant se réapprovisionner, se réalimenter ou se reposer, dans une sorte de maquis, que le Hezbollah se promet de réduire ce qui permet de prévoir une propagation du conflit syrien dans le territoire libanais dans les prochains mois.
– le facteur financier : le Liban retrouve par le biais de son secret bancaire et de son système financier un flux financier qui risque à terme de fragiliser sa structure. Pour des raisons techniques, une grande partie de l’aide financière apportée à l’ASL par des pays du Golfe et d’ailleurs transite par le Liban. Une partie du secteur bancaire libanais utilise le secret bancaire pour sortir et même « blanchir » une très grande partie du capital de la nomenklatura syrienne. Une très grosse partie des fortunes du régime et notamment du clan Assad passe par des banques libanaises, soit pour y rester soit pour passer dans d’autres pays. Depuis un an le système bancaire libanais est sous la pression des instances internationales et du Trésor américain pour instaurer une plus grande transparence. Mais les banquiers redoutent qu’en cédant sur ce point ils perdent tous les capitaux (du Golfe et d’ailleurs) que leur amène le système du secret bancaire libanais, si celui-ci apparaissait ne plus être aussi fiable. 
Le Liban n’est plus au bord de la guerre syrienne, il est déjà dans cette guerre, même si c’est une guerre qui ne prendra pas forcément les formes de la guerre civile de 1974-1975. C’est une guerre larvée, de renseignements, d’assassinats, de voitures piégées.
Il y a risque d’un certain triomphalisme que l’on voit déjà à l’œuvre dans le camp pro-régime syrien pro-Iran au Liban qui interprète comme une victoire définitive la récente contre-offensive très relative de l’armée syrienne sur le terrain et l’accord P 5+ 1 avec l’Iran, ce qui peut provoquer en face, dans la ligne pro saoudienne pro résistance un mouvement de réaction (attentat contre l’ambassade d’Iran à Beyrouth et assassinat de membres de renseignements du Hezbollah) qui peut entraîner une confrontation de plus en plus violente.
Si le régime syrien avant Genève II va jusqu’au bout dans sa reconquête de Damas, techniquement, militairement et logistiquement il devra mettre en œuvre une bataille sur le terrain libanais en coupant les lignes d’approvisionnement des djihadistes et des rebelels syriens.
La question des réfugiés est appelée à s’exacerber. Le rapport de la Banque mondiale dit que dans les meilleures conditions possibles, le nombre de réfugiés syriens, de 5 à 7 millions aujourd’hui doit doubler en 2014. La moitié de la population sera déplacée, dont 2 millions au Liban, un pays de 3-4 millions d’habitants.
La recrudescence des assassinats politiques va se greffer sur un vide politique : le gouvernement est démissionnaire et sans remplaçant, le mandat du Parlement a expiré en juin dernier et il n’y a pas d’élections en vue, le mandat du commandant en chef de l’armée a expiré, et dans trois mois, le mandat du président de la république aura aussi expiré, sans élection possible à organiser.
Les perspectives politiques de Genève II : Il faut avoir très peu d’attentes et être très peu optimiste. On ne sait toujours pas quelle est la base textuelle de la conférence. Pour une partie des acteurs internationaux, Genève II est censée mettre en œuvre Genève I qui dit qu’il y a nécessité de former une instance collective transitoire » agréée par les deux parties, qui devra gérer les institutions syriennes (dont les institutions sécuritaires et militaires, en attendant une transition politique complète (ce qui sous-entend pour les uns le départ de Bachar Al-Assad). Mais si le rapport de forces continue à être bloqué sur le terrain entre les  deux parties, il faut en attendre très peu, sinon une suite d’accords temporaires, à caractère humanitaire, comme au temps de la guerre libanaise, qui accompagneront le conflit jusqu’à une solution politique.
Les parties architectes de Genève I (USA et Russie) ont moins de leviers sur les acteurs réels du terrain qu’ils l’ont laissé entendre : montée en puissance des combattants radicaux au sein de l’ASL, et rapprochement du régime syrien avec l’Iran plus qu’avec la Russie. 
Est-ce qu’au moment de l’accord définitif avec l’Iran après les négociations de P 5 + 1, l’Iran sera « assagi », rentrant dans le concert des nations et le prouvant sur le terrain syrien ou est-ce qu’il continuera de soutenir un régime qu’il considère comme « sa barricade avancée » dans son bras-de-fer avec l’Occident ? Dans ce cas Genève II ne sera qu’un petit appendice de ce qui est appelé à se jouer ailleurs.

Pour le géopoliticien Gérard Chaliand, le conflit syrien est tri-dimensionnel, avec une dimension internationale (Russes vs USA et Europe), une guerre civile entre une dictature et une population majoritaire de sunnites qui s’oppose à un pouvoir confisqué par 15% d’Alaouites et d’autres fractions minoritaires. La troisième dimension est celle d’un conflit généralisé entre chiites et sunnites où le rôle de l’Arabie saoudite est central depuis la fin de la colonisation, avec une réislamisation militante du Proche Orient, un accroissement démographique (300 millions contre 30  millions en 1920). 
Les Saoudiens se sont opposés très tôt à tout nationalisme pseudo-séculier (nassérisme, baathisme) et la manne à partir de 1973 va leur donner une influence qui va de l’Afrique tropicale jusqu’à l’Indonésie, via des madrassas et des mosquées. La révolution khomeiniste de 1979 est pour eux un coup très dur : des non-Arabes, chiites, prétendent incarner la révolution anti-impérialiste et musulmane à l’échelle mondiale. L’intervention soviétique en Afghanistan leur permet, avec le Pakistan et le soutien de la CIA, d’organiser un « djihad sunnite », celui des Moudjaïdin, alors que les Iraniens aident les Azaras chiites. Puis les Russes se retirent, les USA se désintéressent de l’Afghanistan et il reste sur le terrain ces milliers de combattants, organisés et armés, idéologiquement formés par les Pakistanais se replient au Soudan, en Bosnie, au Cachemire, etc. 
Quand le communisme européen s’effondre en 1989-1991, ainsi que l’Union soviétique, et que les Américains triomphent en se voyant comme l’unique puissance mondiale, les ex-djihadistes sont toujours actifs : en 1995-1996, les attentats de Ryad et de Dharhan passent à peu près inaperçus des services américains, même si 24 soldats américains perdent la vie.
2001 donne aux conservateurs américains l’occasion extraordinaire d’imposer leur agenda et de « remodeler le grand Moyen Orient » : expédition en Afghanistan, guerre en Irak. La fin du régime en Irak y porte les chiites au pouvoir (ce qu’avait évité George Bush senior). Le Hezbollah se renforce, notamment contre Israël, et c’est actuellement la meilleure force combattante arabe.
Le conflit en Syrie est une « coagulation » de la lutte entre chiites et sunnites, avec la volonté des Saoudiens d’affaiblir l’Iran et la difficulté pour ce dernier d’échapper au « ghetto ». Avec une suite d’erreurs politiques, de Khomeiny à Ahmadinejad, les iraniens sont d’ailleurs bien moins puissants qu’en 1975.
Aujourd’hui, en Syrie, l’Armée syrienne de libération ne représente plus grand-chose et la Turquie, depuis le sommet de Doha en 2012, a compris que les pays arabes ne la laisseraient pas intervenir militairement dans une affaire « purement arabe ». La montée des salafistes-djihadistes est très nette, et ils tiennent une bonne partie de la frontière turco-syrienne, appuyée par l’Arabie saoudite et un certain nombre de pays du Golfe.  La guerre civile va durer et les négociations se livrent entre les USA et l’Iran, mais de part et d’autres, à Washington comme à Téhéran, beaucoup sont opposés à ces négociations et la population de Syrie en paie le prix, sans compter les débordements vers le Liban.
Si les salafistes gagnent en importance, en Irak, Nouri Al Maliki verrait son pouvoir de plus en plus menacé. Quant aux Kurdes, ils risquent d’être aussi dans leur ligne de mire, car pour un salafiste, un Kurde n’est pas un sunnite, c’est d’abord un Kurde.

Peter Galbraith, ancien ambassadeur des États-Unis en Croatie, spécialiste des Balkans et du Proche-Orient, commence par évoquer Harold Nicolson, historien de la diplomatie et jeune diplomate à la fin de la Première Guerre Mondiale, qui relate dans ses mémoires la conférence de Paix de Paris, quand voyant Georges Clémenceau et Lloyd Georges, recartographier l’Anatolie, il s’est aperçu ils confondaient carte topographique et ethnographique pour distinguer Grecs et Turcs en se fiant aux vallées/montagnes. C’est avec cette même « ignorance crasse et nonchalance » que l’on a tracé les frontières au Proche Orient. C’est le centième anniversaire de Mark Sykes, qui se définissait lui-même et à juste titre comme « amateur » et Georges Picot ne valait pas mieux, auteurs du fameux accord qui a tenu 100 ans mais est en train de disparaître.
Actuellement, le régime chiite à Bagdad, qui ne jouit pas de la confiance de la population sunnite, soutient les Alaouites et Assad, tandis que les sunnites d’Irak soutiennent les sunnites de Syrie qui souhaitent faire redémarrer la guerre civile en Irak ; au nord, il y a un Kurdistan pacifié en Irak, et la partie la plus pacifiée de la Syrie, le Kurdistan en Syrie.
Dans les relations internationale, la forme suit la fonction : quand les États de Syrie et d’Irak n’existeront plus en tant qu’États, ce qui est finalement déjà le cas, au fil du temps, la forme de l’État va changer et c’est encore plus évident au Kurdistan d’Irak.
Au Kurdistan, il y aune population qui, de façon unanime, souhaite l’indépendance. Il y a un gouvernement, à Erbil, qui a dit à de nombreuses reprises : « Si la constitution de l’Irak, qui a été élaborée à dessein pour donner au Kurdistan une indépendance de facto, avec son propre Parlement, sa propre armée, son président, le contrôle de son économie, y compris celui des ressources naturelles, le droit d’exercer son veto pour les lois fédérales, si cette constitution ne prend pas forme, eh bien le Kurdistan quittera l’Irak. » Or cette constitution n’est pas mise en œuvre, ce n’est même plus la  question de savoir si cela va se produire, cela se produira dans une avenir pas si lointain et le reste du monde doit se faire à cette idée. Actuellement, à Bagdad, la politique étrangère soutient Assad, à Erbil, on souhaite travailler avec les Kurdes de Syrie et se placer du côté de l’opposition, et ne suivent pas la politique officielle de Bagdad.
Au moment des Printemps arabes, on citait 1989, la fin rapide du communisme en Europe, en oubliant que 1989 a été suivi de 1991, où la carte élaborée à Versailles s’est désintégrée, avec la disparition de pays comme la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie…
Les États-Unis ont été peut-être le pays le moins capable de reconnaître la réalité et de s’y adapter. Si l’on parle du Kurdistan à un public américain, la première question qu’il pose est : « Qu’en est-il de la Turquie ? » Dans le Sud-Est de la Turquie c’était un crime de parler de Kurdistan et des Kurdes et dix ans après l’invasion américaine de l’Irak, le plus grand soutien et allié de facto du Kurdistan, c’est la Turquie. Et l’oléoduc qui va permettre au Kurdistan d’exporter son pétrole vers la Turquie partira non pas de Bagdad mais du Kurdistan, ce qui est compréhensible : Les Kurdes en Irak on construit un État important, puissant, et dans ce cas, d’autres États s’intéressent forcément à votre situation. Une fois de plus, la forme suit la fonction : le gouvernement turc reconnaît le Kurdistan comme un partenaire économique, la plupart des investissements au Kurdistan irakien émanent de la Turquie.
Mais cela ne dit pas toute l’histoire : au Kurdistan irakien, la Turquie est confrontée à une population qui souhaite être démocratique, laïque, une population qui ne fait pas partie du monde arabe sunnite, ni du monde chiite dominé par l’Iran. Ces facteurs contribuent au refaçonnage du Moyen-Orient. La politique américaine se fondait sur l’idée d’un Irak unifié et fort, cette idée vole en éclat. Les USA s’opposent à cet oléoduc, ce qui indique qu’ils n’ont pas l’influence qu’ils croyaient avoir sur la Turquie et le Kurdistan.
Cela se voit aussi sur la situation en Syrie : les États-Unis, la Russie, les États européens ont une aptitude tout à fait limitée à façonner les événements en Syrie. Du fait du rôle de l’Iran, et de sa présence sur le terrain, le Hezbollah a plus d’influence. Les conservateurs américains disent qu’Obama a laissé passer l’occasion d’armer les combattants de l’ASL sur le terrain, mais c’est stupide, car l’ASL n’aurait jamais joui du soutien des USA pour détrôner Assad dans une opération militaire et non dans un soulèvement populaire. Dès que le conflit a pris un caractère militaire, c’est devenu un conflit sectaire et confessionnel. Le gouvernement américain n’a rien fait pour aider 40% des Syriens qui ne sont pas sunnites. Si vous êtes un Alaouite, même si vous n’aimez pas Assad, quel est votre avenir dans un tel pays ? La seule possibilité est de rester aux côtés du régime, faute de quoi un génocide pourrait se profiler, comme cela s’est passer en Bosnie.
S’agissant des Kurdes, l’opposition n’a rien fait pour reconnaître les revendications kurdes d’auto-gouvernance. Inutile donc de s’étonner que les Kurdes soient un peu entre deux feux. 
Il est donc difficile pour des acteurs extérieurs de façonner l’issue du conflit. Pour conclure, il est faux de dire que George Bush a échoué à refaçonner le Proche Orient. Il l’a fait, mais pas dans le sens où il le souhaitait. Si l’on buvait du champagne à Téhéran, c’est  à lui que les Iraniens trinqueraient !
Les États-Unis vont, au fil du temps, admettre la réalité et cette carte changeante du Proche Orient. Il y a quelques années, dans les cercles politiques et diplomatiques américains, la question d’un Kurdistan indépendant était hors de propos. Aujourd’hui, ils avouent préférer que cela ne se passe pas ainsi… du moins pas avant la prochaine administration ! C’est la même chose avec les Turcs qui disent désormais qu’un Kurdistan indépendant n’est pas « souhaitable, mais… ».
Les acteurs extérieurs doivent avoir un objectif : celui de ne pas penser qu’ils peuvent façonner la résolution du conflit, mais en revanche mettre l’accent sur la réduction de la violence voire son évitement, autant que faire se peut, ne pas promouvoir les politiques favorisant cette violence et établir des normes punitives à l’égard de cette violence. On pourrait faire en Syrie ce qui a été fait en Bosnie : mettre l’accent sur les crimes de guerre et le fait qu’il y aurait des sanctions. Il faut avoir cette même position devant ce qui se passe en Syrie afin de réduire le nombre des victimes.

Fuad Hussein, directeur du cabinet présidentiel du Kurdistan d’Irak, a rappelé que le conflit syrien avait un impact direct sur le Kurdistan d’Irak, d’abord du fait qu’aujourd’hui il y a environ 250 000 réfugiés venus du Kurdistan syrien, en majorité des Kurdes, mais aussi un nombre élevé de chrétiens. Ils ont fui pour des raisons de sécurité mais aussi en raison dune absence totale d’infrastructures et de services publiques. Le GRK doit faire face à cette arrivée de réfugiés.
L’autre raison de cet impact est que la Syrie abrite des Kurdes. Nous sommes solidaires de leur cause, nous essayons de contribuer à l’organisation du mouvement kurde, de le rendre uni et fort, afin de défendre leurs propres droits à un niveau politique et sur d’autres plans.
Ce qui se passe en Syrie a aussi un impact sur le Kurdistan d’Irak car cette guerre est liée au déploiement d’Al Qaeda sur la frontière entre laTurquie et la Syrie. Al Qaeda a proclamé la création d’un État islamique syrien et irakien. Il s’agit d’un mouvement très actif à Mossoul, Tikrit, et dans les régions sunnites d’Irak et ce qui se passe en Irak a un effet sur le Kurdistan irakien et ses frontières, tout comme es interactions entre la réalité et irakienne.
La situation kurde dépend aussi de ce qui se passe en Turquie, avec laquelle nous avons de bonnes relations. Nous cherchons à exercer une influence sur sa politique envers ses Kurdes.
La « politique kurde » du GRK, s’il y en a une, est d’exercer une solidarité envers ses compatriotes, en Turquie, en Syrie et ailleurs. Avec le soulèvement en Syrie, à son début, nous avons encouragé les Kurdes à se rassembler, à une époque où ils étaient fortement divisés. Nous avons encouragé les différentes factions à fédérer leurs efforts et la première étape a été la création du Conseil national kurde (CNK) : c’est environ 16 organisations qui se sont fédérées au sein de ce Conseil.
Il y a eu ensuite deux blocs kurdes en Syrie : le CNK et le PYD. Le PYD est devenu actif plus tardivement, et s’est organisé politiquement et militairement. Nous avons invité l’année dernière le CNK et le PYD à signer les accords d’Erbil, pour créer une organisation fédératrice. Cet accord a échoué malheureusement pour toute une série de raisons et cela a renforcé les tensions entre ces deux représentations, au sein de la Syrie comme à l’extérieur des frontières. « Aujourd’hui nous essayons encore de les mettre autour d’une table afin qu’ils négocient, en vue de la Conférence de Genève II en janvier. »
Quant à la Syrie, en discutant avec les représentants politiques kurdes de la Syrie, plusieurs scénarios ont été étudiés, dès le début du conflit civil. Le GRK a estimé que les Kurdes devaient rejoindre ce mouvement dont les Kurdes de Syrie étaient d’ailleurs précurseurs en 2004. Il s’agissaient de se situer comme les « opposants premiers » à ce gouvernement. Dès le début, il y a eu des manifestations dans les zones kurdes, même si les slogans avec lesquels les Kurdes défilaient étaient différents du reste del ’opposition. Les slogans des Kurdes étaient en faveur de la reconnaissance des droits des Kurdes et de leur dignité contrairement aux slogans anti régime de l’opposition. À l’époque, les dirigeants kurdes avaient uniquement pour objectif de défendre les droits des Kurdes, et non de rejoindre l’opposition et l’ASL. À l’époque, l’objectif était de protéger les zones kurdes.
La troisième étape n’était pas de rejoindre à l’étranger les rangs de l’opposition qui ne reconnaissait pas les droits des Kurdes. Cette reconnaissance était un pré-requis.
Aujourd’hui, il y a plusieurs scénarios discutés : si la Syrie connaît une transition vers la démocratie, quel serait l’impact pour les Kurdes ? Quel impact de même aurait la division de la Syrie ? ou si la guerre se pérennise, avec une libanisation du conflit, pendant plus de 15 ans. La Syrie peut être aussi un État en faillite. Avec les dirigeants kurdes de Syrie, les débats se sont focalisés sur l’exemple du Printemps arabe qui n’a été un printemps véritable pour aucun Arabe, il suffit de voir aujourd’hui ces États en faillite que sont l’Égypte, la Libye, le Yémen. La Syrie peut devenir ainsi, avec un gouvernement central sans pouvoir et des groupes locaux ayant assis leur pouvoir dans différentes régions.
Quand on regarde la carte de la Syrie aujourd’hui, il y a un régime en place soutenu par divers groupes au sein de la Syrie et par d’autres alliés régionaux. Le conflit a une dimension régionale, nationale et internationale : dans sa dimension nationale, il faut noter le rôle joué par le Hezbollah et d’autres groupes irakiens ; du côté de l’opposition il y a un soutien externe venant de pays occidentaux, arabes, qui contribuent au mouvement de résistance au régime. Il y a également l’Armée libre syrienne, avec un rééquilibrage constant entre elle et les groupes terroristes. Mais ces derniers semblent gagner du terrain. Ce qui était auparavant de petits groupuscules aujourd’hui sont de grands mouvements qui contrôlent des territoires entiers. Il y a des interactions entre les groupes actifs en Syrie et ceux actifs en Irak.
Quant à l’opposition en exil il s’agit principalement d’intellectuels, d’universitaires, mais aussi des Frères musulmans. Elle est donc également divisée. S’il y a une Coalition, c’est une coalition  qui a été « forcée » par les pays voisins. Dans leurs discussions en interne, il n’y a aucun consensus. C’est le cas pour Genève II. Et à ce jour il n’y a toujours pas de position et il est encore possible que le Conseil national syrien boycotte le sommet. Le problème est ce manque d’unité, entre l’opposition syrienne à l’étranger, celle sur le terrain et celle entre les partis politiques kurdes en Syrie.
Le conflit va probablement s’enliser et Genève II sera l’occasion d’un grand événement médiatique au service des puissance occidentales mais sans impact sur le terrain, et on s’attend à un Genève III, IV, V… Les problèmes continueront en Syrie, avec cette division entre ce qui se passe sur le terrain et ce qui se passe au niveau de la communauté internationale.
Que faire ? La priorité est de protéger son territoire et éviter de prendre part à ce conflit généralisée car la voie à suivre n’est pas clair : ce conflit a dépassé les frontières régionales, est devenu un conflit international et la coopération entre les Kurdistan syrien et irakien continuera : « Nous considérons que c’est une devoir national et de solidarité que d’aider nos frères kurdes en Syrie. »

Bernard Kouchner, ancien ministre français des Affaires étrangères et européennes, donne d’abord quelques bases :
Au Liban, un des problèmes majeurs est celui des réfugiés : c’est le plus grand exode depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il n’y a pas d’aide pour ces réfugiés, et c’est un problème très lourd pour le pays, où la guerre civile est déjà là. Il y a un danger majeur d’éclatement, même si les Libanais, forts de leur expérience, feront tout pour l’empêcher. 
Dans ce pays, comme dans tous, il y a le spectre d’Al Qaeda, qui est tout autour de la région et cela devient une préoccupation majeure des musulmans qui s’effraient de voir l’emprise d’Al Qaeda sur les éléments les plus jeunes, parce qu’ils n’ont pas d’autre idéal.
Pour les Kurdes : le désir d’une autonomie plus grande ou d’une indépendance demeure, particulièrement au Kurdistan d’Irak. Est-ce maintenant qu’il faut se déclarer ? Les Kurdes pourraient ainsi maintenant proposer une « confédération », c’est-à-dire plus d’autonomie, une réelle indépendance en ce qui concerne le propre destin de chacune des entités, sur le plan militaire, économique, etc., ce qui est le modèle, même si encore critiqué, de l’Union européenne. 
Mais l’union politique des Kurdes est très difficile. « Il faut rassembler, entre ces deux entités kurdes, irakienne et syrienne, le plus possible de canaux de discussion et de travail commun […] J’ai visité les camps de réfugiés au Kurdistan d’Irak, je n’ai jamais vu de camp aussi bien tenu. Je n’ai jamais vu de camp où, dès que vous avez la petite carte, vous pouvez sortir, entrer, travailler, etc. Ça ne peut pas durer éternellement, mais c’est très bien organisé […} Travailler à conforter les situations humaines et faire que les deux entités soient proches l’une de l’autre est absolument essentiel. »
Dans une perspective d’indépendance, de souveraineté du peuple kurde, dont il rêve et qu’il mérite depuis si longtemps et ce qui lui a été promis par un certain nombre de conférences historiques, il y a les difficultés du côté iranien, du côté turc, mais les choses bougent : il n’y a qu’à voir la cérémonie récente à Diyarbakir, inimaginable à une époque, comme l’était alors le développement aujourd’hui des villes d’Erbil et de Sulaïmanieh et leur croissance de 10%.
Par contre, l’opposition, la confrontation, les violences entre chiites et sunnites sont une des bases, sinon la base, de ce qui se passe dans tout le Moyen Orient et il serait temps de le reconnaître. 
La situation quotidienne à Bagdad, c’est une dizaine de morts par jour. Cela me pourra durer longtemps et l’État irakien ne peut plus perdurer comme les Américains l’auraient voulu, c’est un échec absolu.
Même à l’intérieur du Kurdistan d’Irak (la guerre civile n’est pas si loin dans le temps) il y a encore des difficultés. Jalal Talabani ne pouvant plus jouer un rôle politique, il y a un déséquilibre. Les élections se sont bien déroulées et un gouvernement va se former, mais il y a des tentatives, de part et d’autre, de déstabilisation.
Nous avons assisté à un renversement complet de la politique américaine au Moyen Orient : Les expéditions militaires sont terminées, l’intervention qui aurait dû être faite en Syrie n’a pas eu lieu. Les Américains espèrent une détente avec l’Iran avec l’avènement de Rouhani. 
C’est le moment pour les Kurdes d’affirmer leur volonté avec l’idée d’une confédération tripartite (kurde, sunnite, chiite). On commence déjà à ne plus pouvoir se passer des Kurdes dans la région et ils devraient pousser leur avantage, en unissant plus clairement les forces politiques des Kurdes de Syrie et d’Irak.

Bernard Dorin, ancien ambassadeur de France conclut sur l’idée que cette guerre en Syrie est une guerre purement religieuse entre Arabes et non politique, idéologie ou ethno-linguistique, excepté les Kurdes.
Cette guerre de Syrie a la particularité de voir les ultra-minoritaires qui oppriment les majoritaires, d’autant que les Alouites sont considérés comme des hérétiques en islam, même pour les chiites duodécimains.
Cette guerre est interminable, de par l’équilibre des puissances des deux côtés, et des alliances étrangères qu’ils ont (Russie et Iran d’un côté, Arabie saoudite de l’autre côté), donc des quantités de morts, des haines et des représailles inévitables.

Aussi dans le long terme, il faudrait revenir à la solution géniale des Français en 1920, au moment du Mandat syrien, ayant compris qu’en Syrie il y avait des religions qui ne pouvaient pas s’accommoder entre elles. Ils prévoyaient donc une République syrienne avec Damas pour capitale, une république druze au sud, une république alaouite dans la région de Tartous-Lattaquié, et il faudrait y ajouter une république kurde. Il y aurait ainsi une fédération ou une confédération syrienne avec 4 « États » ou « républiques » ou « régions », le nom importe peu mais ce qui importe c’est qu’elle soit à l’image de la Région du Kurdistan d’Irak. Ce serait un pas de plus, et un pas important, vers l’unité globale de la nation kurde qui, rappelons-le, est la plus grande nation sans État. À plus ou moins long terme, l’idéal serait un Kurdistan à 4 « régions » autonomes qui formeraient une confédération qui réunirait le peuple kurde, sinon en un seul État, du moins en une seule entité.

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