lundi, avril 14, 2008

"Qand on a votre coeur et votre épée, on passe partout"


Il y a deux passages que j'affectionne particulièrement dans Vingt ans après, c'est d'une part, cette correspondance brève entre les anciens mousquetaires, séparés par la Fronde, et qui savent servir des princes qui s'opposent :

Athos à d'Artagnan :

"Cher ami, je pars avec Aramis pour une affaire d'importance. Je voudrais vous faire mes adieux, mais le temps me manque. N'oubliez pas que je vous écris pour vous répéter combien je vous aime.

Raoul est allé à Blois, et il ignore mon départ ; veillez sur lui en mon absence du mieux qu'il vous sera possible, et si par hasard vous n'avez pas de mes nouvelles d'ici à trois mois, dites-lui qu'il ouvre un paquet cacheté à son adresse, qu'il trouvera à Blois dans ma cassette de bronze, dont je vous envoie la clef.

Embrassez Porthos pour Aramis et pour moi. Au revoir, peut-être adieu."


D'Artagnan à Athos :

"Mon cher comte,

Quand on voyage, et surtout pour trois mois, on n'a jamais assez d'argent ; or, je me rappelle nos temps de détresse, et je vous envoie la moitié de ma bourse : c'est de l'argent que je suis parvenu à faire suer au Mazarin. N'en faites donc pas un trop mauvais usage, je vous en supplie.

Quant à ce qui est dene plus vous revoir, je n'en crois pas un mot ; quand on a votre coeur et votre épée, on passe partout.

Au revoir donc, et pas adieu.

Il va sans dire que du jour où j'ai vu Raoul je l'ai aimé comme mon enfant ; cependant croyez que je demande bien sincèrement à Dieu de ne pas devenir son père, quoique je fusse fier d'un fils comme lui.

VOTRE D'ARTAGNAN

P.S.- Bien entendu que les cinquante louis que je vous envoie sont à vous comme à Aramis, à Aramis comme à vous."


Et plus touchant encore, dans sa naive et gentille vantardise, la lettre de l'aspirant-baron :

"Mon cher d'Herblay,

J'apprends par d'Artagnan, qui m'embrasse de votre part et de celle du comte de La Fère que vous partez pour une expédition qui durera peut-être deux ou trois mois ; comme je sais que vous n'aimez aps demander à vos amis, moi je vous offre : voici deux cents pistoles dont vous pouvez disposer et que vous me rendrez quand l'occasion s'en présentera. Ne craignez pas de me gêner : si j'ai besoin d'argent, j'en ferai venir de l'un de mes châteaux ; rien qu'à Bracieux j'ai vingt mille livres en or. Aussi, si je ne vous envoie pas plus, c'est que je crains que vous n'acceptiez pas une somme trop forte.

Je m'adresse à vous parce que vous savez que le comte de La Fère m'impose toujours un peu malgré moi, quoique je l'aime de tout mon coeur ; mais il est bien entendu que ce que j'offre à vous, je l'offre en même temps à lui.

Je suis, comme vous n'en doutez pas, j'espère, votre bien dévoué.

DU VALLON DE BRACIEUX DEPIERREFONDS"


Autre passage que j'aime, c'est celui où Raoul, naivement, prend la défense de Comminges venu arrêter Broussel, et ainsi, à son insu, se bat contre le parti d'Athos. rescapé par d'Artagnan, le béjaune se fait morigéner par le lieutenant des mousquetaires qui, lui, sert pourtant Mazarin :

"- Vous avez fait une énormité, jeune homme, vous vous êtes mêlés de choses qui ne vous regardent pas.

- Cependant vous-même...

- Oh ! moi, c'est autre chose ; moi j'ai dû obéir aux ordres de mon capitaine. Votre capitaine à vous, c'est M. le Prince. Entendez bien cela, vous n'en avez aps d'autre. Mais a-t-on vu, continua d'Artagnan, cette mauvaise tête qui va se faire mazarin, et qui aide à arrêter Broussel ! Ne soufflez pas un mot de cela, au moins, ou M. le comte de La Fère serait furieux."


Et d'Artagnan, devenu "tuteur par interim" de Bragelonne, conclut :

"- Eh ! mon Dieu ! aimez-moi aussi ; je ne vous tourmenterai guère, mais à la condition que vous serez frondeur, mon jeune ami, et très frondeur même."

Même son de cloche, plus bonhomme, plus paisible, chez Porthos, que chez le bouillant Gascon :

"- Tenez, reprit d'Artgagnan, voici monsieur de Bragelonne qui voulait à toute force aider à l'arrestation de Broussel et que j'ai eu grand'peine à empêcher de défendre M. de Comminges !

- Peste ! dit Porthos ; et le tuteur, qu'aurait-il dit s'il eût appris cela ?

- Voyez-vous ! interrompit d'Artagnan ; frondez, mon ami, frondez et songez que je remplace le comte en tout."

Alexandre Dumas, Vingt ans après.

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