lundi, avril 07, 2008

Le rôle de l'Union européenne en Irak : recommandations, considérations et voeux (pieux ?)

Les recommandations du Parlement européen de Strasbourg qui ont été adoptées par les députés le 13 mars dernier introduisent une nouveauté par rapport aux textes précédents votés le 12 juillet et le 25 octobre 2007 : elles mentionnent à présent explicitement le Kurdistan. Trois ans après l'adoption par référendum de la constitution irakienne le mentionnant, il serait temps de se réveiller, mais gageons que cela fera tout de même enrager un certain pays candidat à l'Union européenne qui n'a plus qu'à aligner l'UE pour crime de tentative d'inventer un pays...

Les mentions et les recommandations à apporter un soutien au Kurdistan sont d'ailleurs toutes inspirées d'un rapport de la commission des affaires étrangères sur le rôle de l'Union européenne en Irak (A6-0052/2008).

L'article F., pour commencer, ne mentionne pas explicitement les régions kurdes, mais débat plus largement des ingérences "voisines" dans le destin politique de l'Irak, visant tout aussi bien la Turquie que l'Iran et dans une moindre mesure, la Syrie, mais il aura des répercussion sur une des dernières recomamndations.

Par contre, en H on y va carrément : "Considérant que le Kurdistan irakien est une région d'Irak dans laquelle un niveau de paix et de stabilité est assuré et dans laquelle la coopération internationale au développement et les investissements privés sont en augmentation"

La N. aussi a son importance, dans sa constatation anodine : "Considérant que la Commission a, depuis décembre 2005, une modeste délégation à Bagdad, dont la section opérationnelle est basée à Amman, et estime qu'il lui est extrêmement difficile d'agir dans certaines régions, à Bagdad surtout, du fait de dispositifs militaires et de la situation sur le plan de la sécurité"

Halabja est élégamment cité en R, parmi les crimes du Baath, forme de mea culpa européen ?

"Considérant que les années du régime Baath et des décennies de guerre ont laissé une société traumatisée par la guerre, la répression, le nettoyage ethnique (y compris par des frappes chimiques comme à Halabja) et l'indifférence internationale face à ces crimes; considérant que la communauté internationale, en général, et en particulier ceux des États qui ont soutenu l'intervention, ont l'obligation juridique et morale, de même qu'ils y ont un intérêt sur le plan de la sécurité, de soutenir la population irakienne et considérant que l'Union, en coordination avec d'autres donateurs internationaux, doit mobiliser rapidement et de manière créative tous les instruments pertinents dont elle dispose pour s'acquitter de son rôle"

et donc après les considérations, quelques recommandations qui peuvent nous intéresser, dont en b) : "renforcer les procédures électorales au niveau local, pour faire en sorte que les conseils provinciaux soient pleinement représentatifs de toutes les populations locales; renforcer la démocratie locale par des mécanismes de consultation, afin d'associer la population locale au processus de prise de décision, sur une base régulière et fréquente" ;

et en d) : – en agissant directement sur le terrain, si et là où la situation de la sécurité le permet, notamment dans les marais du sud, dont la population est particulièrement négligée, et au Kurdistan ; - en encourageant les agences des Nations unies et d'autres organisations internationales à en faire autant ;
– en soutenant totalement les parties prenantes locales – société civile et autorités gouvernementales notamment – dans la conception, dans la mise en œuvre et dans la pérennisation de projets et de programmes ;
– assurer la visibilité de l'Union à Erbil, à Nasiriyah, à Bassora et dans d'autres régions d'Irak où la situation de la sécurité le permet;

Ce qui revient à dire que l'Union européenne devrait ouvrir des bureaux en-dehors de Bagdad où, de toute façon, comme il est considéré en N : "la Commission a, depuis décembre 2005, une modeste délégation à Bagdad, dont la section opérationnelle est basée à Amman, et estime qu'il lui est extrêmement difficile d'agir dans certaines régions, à Bagdad surtout, du fait de dispositifs militaires et de la situation sur le plan de la sécurité". Et pour faire bonne mesure, on met un bureau à Erbil, chez les Kurdes, un à Bassorah, comme ça personne ne peut ouvertement récriminer la reconnaissance d'une indépendance de facto.

Maintenant parlons des choses qui fâchent :

– soutenir le processus de réconciliation, à savoir à propos de Kirkuk et d'autres territoires disputés sur le plan intérieur irakien, notamment les régions assyriennes connues sous le nom de plaines de Ninive, qui comptent des minorités chrétiennes;

"Soutenir le processus de réconciliation à Kirkouk" ça ne mange pas de pain, tellement le propos est vague. Mais la mention de Ninive et autres régions assyriennes est par contre une avancée pour les revendications des Assyro-Chaldéens qui demandent une région autonome bien à eux au nord de Mossoul, proposition appuyée d'ailleurs par certains membres du Gouvernement régional kurde, mais qui se heurte à une certaine hostilité de l'Eglise qui refuse un "ghetto" chrétien. Sauf qu'entre ça et la disparition totale des chrétiens en Irak, on se demande ce qui est préférable ... Bien sûr, une telle région, si elle voyait le jour, serait probablement protégée au moins dans un premier temps par les Peshmerga, qui sécurisent déjà Al-Qosh où sont réfugiés bon nombre de dignitaires religieux. Si les Kurdes pouvaient glisser dans le même paquet du référendum Kirkouk-Khanaqin-Sinjar-Ninive, cela leur donnerait l'air de ne pas être les seuls à réclamer...

– exploiter la nature spécifique de l'instrument de stabilité, afin de fournir une aide importante, cruciale pour le développement dans une situation de crise, ou de crise naissante, telle que celle qui règne en Irak: soutenir le développement d'institutions fédérales, régionales et locales démocratiques, exemptes de sectarisme et pluralistes, en mettant l'accent sur le Conseil des représentants, et sa capacité à maîtriser le processus législatif, à contrôler le pouvoir exécutif et à donner aux femmes un rôle accru dans la société irakienne;

L'appui aux institutions fédérales est également une façon un peu surprenante (de la part de l'UE) de se mouiller face aux réticences de la classe politique arabe sunnite, qui perd de mauvais gré sa position dominante en Irak et aux chiites qui auraient la tentation de reprendre le contrôle centralisateur du pays à la place de leurs compatriotes.

" apporter conseil et aide à la région du Kurdistan et à son gouvernement dans les efforts de ce dernier en matière de lutte contre le trafic de la drogue;"

Ce qui est viser l'Iran directement, je suppose.

Sur le rôle et le poids des ONG dans l'avancée de la démocratie et des droits de l'Homme, le texte se consacre presque totalement au seul cas du Kurdistan, seule zone où "l'instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme" peut servir, étant donné la situation sécuritaire des autres provinces :

– encourager les ONG européennes à s'engager avec leurs homologues irakiennes – déjà particulièrement actives au Kurdistan – à utiliser pleinement l'instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme en fournissant une assistance technique et financière aux organisations de la société civile, afin d'aborder les questions suivantes: participation égale des femmes et des hommes à la vie politique, à la vie économique et à la vie sociale ;

Sur les questions sociales et familiales, il y a là aussi un terrain favorable pour les ONG européennes, vu que c'est un des chevaux de batailles de Nêçirvan Barzanî : "violences dont les femmes sont victimes, à savoir mariages forcés, crimes d''honneur" ; id les "trafics et mutilations génitales" qui sont une pratique très minoritaire au Kurdistan en général mais qui semble concentrée dans les régions sud, comme une tradition locale plus qu'en raison du shaféisme comme je l'ai lu parfois, puisque la plupart des Kurdes sont shaféites.

Une mention assez drôle concerne "les droits des peuples indigènes et des personnes appartenant à des minorités et à des groupes ethniques, notamment Assyriens (Chaldéens, Syriaques et autres communautés chrétiennes), Yezidis et Turkmènes; " J'aimerais déjà qu'on me cite une population "non-indigène" en Irak, hormis les Turkmènes, ces fraîchement arrivés de 500 ans. Parce que ce n'est pas le fait de s'être converti à l'islam ou au christianisme ou d'avoir été arabisé qui fait des Irakiens des colonisateurs...

J'aimerais aussi qu'on m'explique ce qu'est une population qui n'appartiendrait pas à "un groupe ethnique" en général... D'autant plus que ce terme alambiqué est comiquement appliqué aux "Assyriens" qui sont, comme il est ensuite précisé entre parenthèses, une communauté religieuse encore plus que linguistique car les chrétiens du sud ne parlent plus le syriaque au contraire des chrétiens du Kurdistan.

Les Yézidis ne sont pas davantage une minorité "ethnique", puisqu'ils sont kurdes (ou très minoritairement arabes) et que là encore il s'agit d'une religion. Quant à entreparenthéser sous le terme "Assyriens" le reste des églises de rite syriaque, pourquoi pas, mais le "et autres communautés chrétiennes" laisse entendre que tous les chrétiens d'Irak sont des "Assyriens" ce qui est faux, si l'on pense aux quelques milliers d'Arméniens, qui n'aimeraient guère s'entendre appeler de la sorte.

Par contre, la résolution oublie les Mandéens, religion encore à part, avec des adeptes là aussi araméenophones. Bon, on sent que les rédacteurs se sont un peu embrouillés dans tout ça...

– accroître l'aide de l'Union - notamment par le biais de la direction générale de l'aide humanitaire (ECHO) de la Commission - aux ONG et aux organisations internationales dans leurs efforts pour soulager le sort des réfugiés irakiens dans les pays limitrophes et celui des personnes déplacées de l'intérieur, y compris les 4 000 familles assyriennes qui, pour la plupart, ont trouvé refuge dans les plaines de Ninive;

Ninive étant aux dernières nouvelles (à moins que les Peshmergas l'aient vraiment nettoyé depuis 9 mois) un des endroits les plus dangereux d'Irak, je doute un peu que les Assyriens fugitifs s'y soient installés en masse. Les chrétiens qui y vivent sont des autochtones, sinon je ne vois pas l'intérêt de fuir Bagdad pour Mossoul... Quand ils fuient dans le nord, c'est plutôt dans la Région du Kurdistan où ils bénéficient en plus d'une aide et d'un logement d'office.

Enfin, la flèche du Parthe ou bonnet blanc et blanc bonnet :

o) presser la Turquie à respecter l'intégrité territoriale de l'Irak et à ne pas réagir aux actions terroristes par des actions militaires sur le territoire irakien; presser les autorités irakiennes à ne pas permettre que le territoire irakien soit utilisé comme base d'actions terroristes contre la Turquie;"

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