mardi, avril 17, 2007

Plotin

Porphyre parle de la douceur de Plotin, de sa bonté, par exemple quand il hérite du tutorat d'enfants de la noblesse romaine, confiés à lui par leurs parents avant de mourir : "Porphyre décrit Plotin en véritable intendant, vérifiant les comptes des enfants dont il était le tuteur, allant jusqu'à faire réciter leurs leçons à certains d'entre eux, intervenant lors d'incidents domestiques ou répondant encore à des demandes d'arbitrage. Le disciple évoque le souvenir d'un homme attentionné : Il était doux, à la disposition de tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, se sont trouvés en relation avec lui." (9. 18-20).

Il y a, à la fin du traité démonstratif de Plotin sur l'immortalité de l'âme, un ajout qui détonne, un mot de la fin à l'usage de ceux qui ne philosophent pas, qui est comme une conclusion bénigne, rassurante, et qui, je ne sais trop en quoi, éclaire la gentillesse simple de Plotin :

"15. Eh bien, nous avons dit ce qu'il fallait à ceux qui avaient besoin d'une démonstration. Mais à ceux qui auraient encore besoin d'une preuve fondée sur l'autorité de la sensation, il faut répondre qu'on la trouve dans cette masse d'informations relatives à des choses de ce genre et notamment celles-ci : les dieux qui ordonnent par des oracles d'apaiser la colère des âmes à qui on a porté tort et de rendre des honneurs aux défunts comme s'il s'agissait d'êtres doués de sensation : ce sont là des pratiques auxquelles se livrent tous les hommes à l'égard des trépassés. Et bien des âmes qui se trouvaient auparavant en des hommes n'ont pas cessé, même après avoir quitté les corps où elles se trouvaient, de faire du bien aux hommes ; oui, ces âmes nous rendent service, en proférant des oracles et par d'autres bienfaits. Et par leur exemple, elles montrent que les autres âmes ne sont pas détruites."

Où l'on apprend que l'âme des grands philosophes déjoue le vaudou... J'aime cette idée qu'une belle âme renvoie les sorts comme un boomerang magique dans la tronche de l'envieux.

"L'un de ceux qui voulait passer pour philosophe, Olympius d'Alexandrie, qui fut un temps l'élève d'Ammonius, eut à l'égard de Plotin une attitude méprisante parce qu'il briguait la première place ; il en vint même à l'attaquer, si vivement qu'il ambitionnait de précipiter sur lui, par des pratiques magiques, l'influence des astres (astrobolêsai). Mais, sentant que l'entreprise se retournait contre lui-même, il dit à ses familiers que si grande était la puissance de l'âme de Plotin qu'il pouvait détourner les attaques dirigées contre lui sur ceux qui entreprenaient de lui faire du mal. Plotin cependant ressentait l'agression d'Olympius, disant qu'à ce moment-là son corps était contracté "comme la bourse que l'on resserre", ses membres pressés les uns contre les autres. Mais Olympius, après avoir risqué plusieurs fois de subir lui-même quelque dommage plutôt que de le faire subir à Plotin renonça."

Vie de Plotin, Porphyre, 10, 1-13.

Dans son traité Sur le Destin, une précision drôle, qui sonne comme un trait d'humour, mais qui ne fait pas oublier que Plotin vivait dans un monde de dieux et de demi-dieux pas toujours enfantés de façon "naturelle" :

"La cause de l'enfant est le père, et tout ce qui peut contribuer de l'extérieur à sa génération par l'enchaînement des causes : une nourriture de telle ou telle qualité, par exemple, ou - cause un peu plus éloignée - une semence assez fluide pour l'engendrement de l'enfant, ou une femme à même d'enfanter.Et en règle générale cet engendrement relève de la nature."

Il poursuit sur le cas de ce que Lucien Jerphagnon appelle les "imbéciles" voués à la doxa, et que lui qualifie de "paresseux" ou "désinvolte" (rhaitumos), mais je crois que c'est paresseux qui convient le mieux : le mou du bulbe qui avale ce qui passe à portée sans se fatiguer à nager à contre-courant pour retrouver la source : "Pourtant, s'arrêter lorsqu'on est parvenu à ces causes, sans consentir à aller plus haut, c'est sans doute le fait d'un paresseux qui ne prêtent pas l'oreille aux propos de ceux qui remontent aux causes premières, qui se trouvent au-delà."

J'aime bien aussi son " et, par Zeus", "juron qui exprime l'exaspération rhétorique devant l'évidence non reconnue."


Plotin, Traités, 1-6, trad. Luc Brisson & Jean-François Pradeau.

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