jeudi, avril 12, 2007

al-Hallaj, les yézidis, les Alévis et les autres


Le mystique Husayn Mansûr "al-Hallâj" est considéré comme une des grandes figures religieuses des Yézidis qui lui ont consacré un beau qewl (hymne), principalement sous forme de dialogue entre lui et sa soeur Khadjé, et qui a aussi sa ziyaret à Lalish, près de Sheikh Adi. Dans sa préface à la traduction du Dîwan, Louis Massignon évoque l'importance du culte de Hallâj, aussi répandu que celui de Khidr.

"Tel est le type de sainteté qu'exaltèrent alors, dans le peuple turc nouvellement converti, les poèmes de Yesewî, puis de Nesimî, et la ritualisation symbolique du "gibet de Mansûr Hallâj" dans l'initiation à l'ordre des Bektashis, diffusée chez les janissaires ottomans. En poésie turque, Hallâj reste le "saint par excellence", le crucifié (ou pendu) au visage incliné "comme la rose qui se penche". (Qasîda de Lâmi'î, dédié à Soliman le Grand.) 'Attâr est aussi, avec 'A. Q. Hamadhanî, à l'origine de la dévotion des poètes de l'Iran, et des mystiques de l'Inde, pour Hallâj ; du sultan Hy. Bayqarâ, de Hérat, qui fit peindre toute sa vie par le célèbre Behzâd, et du sultan Husayn Shâh, du Bengale, qui autorisa le culte hallagien de "Satya Pir", au mystique Sèrmèd Qashanî, qui se fit martyriser comme lui, à Delhi, sous Aurengzeb. Cette lignée de témoignages passionnés, prise dans le dilemme sainteté-damnation, d'un romantisme intense, a engendré des légendes populaires sur le témoignage du sang, sur la fécondité des cendres de Hallaj, jetées au fleuve, sanctifiant les novices qui s'y désaltèrent, faisant concevoir les vierges qui en boivent (la soeur de Hallâj, chez les kurdes yézidis, pour qui Hallâj est le saint du Jugement ; l'origine des clans Qaraqirghiz, telle qu'elle se conte à Osh ; la naissance du poète hallagien Nesîmî, d'Alep, telle qu'on la chante à Bukhara ; Satya Pir en Bengale, Siti Jenar à Java). Déformation charnelle de cette vérité : que le sang des témoins est une semence spirituelle de confesseurs de la foi, qui assurent la résurgence perpétuelle du témoignage."

Sur la reconnaissance de sa valeur spirituels par des "philosophes musulmans indépendants", nous retrouvons sans surprise quelques noms, parmi bien d'autres : Ibn Sîna (Avicenne), Sohrawardî, Jalâl al-Dîn Rumî, Nasîr Tusî (quoiqu'ismaélien, mais al-Hallâj eut contre lui des shiites comme des sunnites de toute façon), le vizir du Mongol Hulagu, Rashid al-Dîn, philosophe et savant éminent en plus d'être ministre et Fakhr Farîsî, qui débattit avec François d'Assise devant l'Ayyoubide al Malik al Kamil.

Massignon mentionne aussi le rôle de la confrérie 'Adawiyya pour diffuser ce culte en pays arabe, ce qui permet de refaire le lien avec les Yézidis, puisque Sheikh Adî en était membre et qu'une tariqat 'adawiyya fut tout de même bel et bien à l'origine de Lalish.

"En pays arabe, une légende populaire (Qissa), diffusée dès le XIII° siècle en Syrie et en Egypte par l'ordre éphémère des 'Adawiya, prêchée alors à Damas et à La Mecque par le hanbalite Izz Ghânim Maqdisî, chantée à l'Albayçin de Grenade au XIV° siècle (Ibn Sîd Bono) perpétue humblement cette conviction.Hallâj est invoqué dans la dévotion privée, surtout en pays turc ; notamment pour faire cesser les pleurs des petits enfants. Le cénotaphe qui lui a été érigé dès le XI° siècle àBagdad est visité principalement par des hindous. La flûte principale des concerts spirituels des Mewlewis, en Antolie, ney-è-Mansûr, lui est dédiée."

Hallâj fut aussi vénéré par les akhis (corporations à caractère mystique, liées par la futuwwat) qui eurent une importance primordiale dans toute l'Anatolie et la Mésopotamie du XIII° et XIV° siècle. Par ailleurs le "gibet de Mansûr" fait partie des rites initiatiques alévis et bektashis, ce qui n'a rien de surprenant quand on sait leurs liens étroits.

"Dans les Futuwwetnamé, livres corporatifs initiatiques, retouchés au XIV° siècle, d'origine selmanienne, Hallâj prit place, sous le nom de Mansûr, comme patron des cardeurs ; qui l'invoquent encore aujourd'hui en pays turc. Où le "gibet de Mansûr" est le rite d'initiation des Qyzylbash ; et des Bektashis (issus des Yesawiya) : surtout en Albanie. Actuellement, quatre grands centres hallagiens subsistent : Osh (en Kirghizie) ; Maij Bhandar (Chittagong) et Shureshwara (Faridpur) en Pakistan oriental ; chez les Ghudf (en Mauritanie)."

Dans ses notes, Massignon que si pour ses adversaires, par exemple un zahiriste comme Ibn Hazm, ou d'autres fuqaha, Hallâj est un "dajjâl", un "antichrist annonciateur du Jugement", inversement, les Yézidis voient en lui le "septième Ange qui cardera le monde."

Le Cardeur est de fait un de ses surnoms (c'était par ailleurs la profession de son père) auquel il donna lui-même une portée symbolique et mystique qui se perpétua.

"En mai 1940, une femme turque, vaticinant sur la guerre mondiale à Istanbul, déclarait : "les hommes vont être punis, le Cardeur (Hallâj) va volatiliser le monde."

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