mardi, février 04, 2014

Amadiyya sous le règne de Badr al Din Lu’lu (1211-1259)

 
Kitāb al-Aghānī (Livre des Chants) d'Abu al-Faraj al-Isfahani, peint en (1218-1219), que l'on a parfois vue comme une "représentation" de Badr al-Din Lu'lu', ce qui n'est pas  du tout assuré, mais qui correspond à la représentation idéale d'un prince de la Djezireh du 13e s. 


Badr al Din Abu-l-Fada’il Lu’lu fut le mamluk (esclave) du dernier atabeg indépendant de la dynastie zengide à Mossoul,  Nur al Din Arslan Shah (1193-1211) qui, comme d'autres petits princes de Djezireh et de Haute-Mésopotamie tenta de s'émanciper de la tutelle ayyoubide à la mort de Saladin. Mais à Erbil, Gökburi, le beau-frère turc de Saladin, restait allié aux Ayyoubides et avec le neveu de Saladin, Al Malik Al Ashraf (fils d'Al 'Adil, qui s'imposa comme sultan d'Égypte à la place son frère), il battit Arslan Shah à Sinjar, en 1204. Arslan Shah donna alors sa sœur Turkan Khatun en mariage à Al -Malik al Ashraf en 1208-1209 et ainsi les territoires retombèrent peu à peu sous la main réunificatrice d’al Adil.

Mais quand al-Adil assiégea Jazirat Ibn Umar (Cizîr), tous les atabegs réalisèrent qu’Al Adil tentait d'avancer la suprématie ayyoubide là où Saladin n'avait jamais pu s'imposer : sur les terres des Zengides et du Kurdistan. Cela réconcilia un temps Erbil (Gökburi) et Mossoul (Arslan Shah). Les deux filles de Gögburi épousèrent les deux fils d’Arslan Shah. S’allièrent  à eux Al Zahir Ghazi, fils de Saladin, prince d'Alep (les Ayyoubides passèrent leur temps à se déchirer) et le sultan roum d’Anatolie. Malgré cela, Al Adil obtint une soumission au moins politique.

Quand Arslan Shah mourut en 1211, deux de ses fils lui succédèrent, comme il l’avait stipulé : l'aîné ‘Izz al Din à Mossoul et le cadet Imad al Din Zengi reçut les deux  forteresses de Akre et Shush. À cette époque, Badr ad Din Lu’lu, un esclave sûrement d'origine arménienne, était commandant des armées et gouverneur des tribus et des clans. Lu’lu cacha la mort d’Arslan Shah jusqu’à ce que ses fils fussent reconnus dans leur pouvoir par le Calife de Bagdad.

Les relations entre Mossoul et Irbil restèrent bonnes, sous la domination d’Al-Adil jusqu'à la mort du sultan de Mossoul, 'Izz al Din, en 1218. Il avait désigné son fils Arslan Shah pour lui succéder (il était âgé de 10 ans), sous la tutelle de Badr al Din, qui envoya à nouveau une députation au Calife pour faire connaître le second Arslan Shah comme sultan et lui-même comme ‘sultan-adjoint’. Gouvernant au nom d'un prince de dix ans, Badr ad Din Lu’lu agissait à partir de là comme un prince indépendant. 

L’oncle d’Arslan Shah, ‘Imad al Din Zangi, qui tenait toujours Akre et Shush, voulut s’opposer à cette prise de pouvoir  d’autant qu’il aurait pu prétendre à succéder à son frère du fait que L’u’lu était un usurpateur d'origine servile. Lu’lu, face à la légitimité zengide, avait l’appui des Ayyoubides avec le sultan d'Égypte Al Adil. Mais ce dernier mourut presque aussitôt en août 1218.

Imad ad Din Zangi réclama d'abord que la garnison de la forteresse d’Amadiyya « la plus importante citadelle du Kurdistan » (dixit Patton Douglas :Badr Al-Din Lu Lu: Atabeg of Mosul, 1211-1259 )  accepte son autorité. Il prétendit même que le jeune Arslan Shah était mort. La garnison d’Amadiyya se soumit à lui en décembre 1218. Lu’lu envoya des forces pour la reprendre mais Gökburi, qui soutenait Zangi, le menaçait de son côté. D’autres citadelles de la Hakkariyya et de Zozan reconnurent Imad ad Din. Lu’lu fit alors appel une fois encore au soutien d’Al-Ashraf (sultan de Harran et Damas) et d'al-Kamil (qui avait succédé à son père Al 'Adil comme sultan d'Égypte). Al Ashraf menaça Gökburi d’une invasion. Ce dernier fit la sourde oreille et s’allia avec les Artuqides de Mardin et de Hisn Kayfa. Ashraf envoya une petite force à Nasibin pour protéger Mossoul d’une éventuelle offensive artuqide.

Les forces de Lu’lu battirent celles de Zangi près d’Akre le 14 avril 1219. Comme Lu’lu avait envoyé une lettre de soumission  et de demande de soutien à Bagdad, il y eut des envoyés d’Al Ashraf et du calife pour parrainer le traité de paix qui déboucha sur un statu quo, chacun gardant les territoires qu’il contrôlait. 

Mais le petit Arslan Shah finit par mourir pour de bon et son jeune frère de 3 ans fut placé sur le trône par Lu’lu. Derechef, Gökburi et Zangi attaquèrent Mossoul. Zangi appela au secours les troupes ayyoubides stationnées à Nusaybin (celles qui qui devaient le protéger des Artuqides). La bataille eut lieu le 1er octobre 1219. Les Ayyoubides battirent Zangi et Gökburi battit Lu’lu, ce qui faisait 50/50. La situation de Lu’lu était de plus en plus difficile, d’autant que le second jeune prince mourut à son tour et que Lu'lu n'avait plus de pupille zengide à faire semblant de régenter.

Lu’lu appela de nouveau Al Ashraf à l’aide. L'Ayyoubide vint camper avec une armée à Harran, en octobre novembre 1219. Face à eux, Gökburi resserra les liens avec les Artouqides et le sultan seldjoukide de Rum, Izz al Din Kaykawus, qui disputait aux Ayyoubides le nord de la Syrie. Deux autres grands émirs kurdes, Al Mashtub et Izz al Din ibn Badr al Humaydi, les suivirent dans la révolte contre Al-Ashraf. Al-Mashtub fut fait prisonnier à Sinjar, mais le gouverneur de Sinjar le relâcha et se rallia à son camp. Lu’lu et al Ashraf assiégèrent Al Mashtub à Tell Yafar près de Sinjar et le capturèrent en juin 1220. Lu’lu l’épargna s’il livrait le fort de Tell yafar et l’amena à Mossoul.  

Mashtub fut emprisonné à Harran par Al-Ashraf et il mourut 2 ans plus tard. Al-Ashraf récupéra Sindjar en 1220 et arbitra une fois encore le conflit entre Erbil et Mossoul. Il fut convenu que toutes les forteresses prises à Lu’lu seraient rendues, sauf Amadiyya. Gökburi devait aussi accepter la suprématie de Lu’lu (dire la khutba du Vendredi et battre monnaie à son nom). Gökburi refusa et les discussions durèrent 2 mois, jusqu’à ce qu’al-Ashraf perde patience et marche sur Erbil. Gökburi accepta finalement et la trêve fut conclue en octobre 1220. Gökburi emprisonna même Zangi afin qu’il rende les forts, comme promis. 

Mais la 5ème Croisade menaçait l’Égypte et al-Kamil rappela son frère qui quitta les lieux d’urgence, en emmenant Zangi.

Gögburi ne se plia jamais vraiment à l’autorité d’Al Ashraf et les forteresses kurdes refusèrent d’abord de se rendre à Lu’lu. Mais celui-ci bénéficiait toujours de la protection d’Al-Ashraf contre Zangi et en 1221, les garnisons des forts de Al Hakkariyya et de Al Zozan se soumirent à Mossoul. Même Amadiyya se rendit à Lu’lu, bien que le traité avait prévu qu’elle restât à Zangi. 

Au début Al-Ashraf refusa qu’il se rendisse maître des citadelles du Kurdistan, mais Lu’lu lui donna en échange une autre forteresse et des terres près de Nusaybin. Mossoul et Erbil furent ainsi réconciliés et Amadiyya passa  pour de bon aux mains de Badr al Din, qui assiégea Sush, toujours tenue par Zangi. Ce dernier partit même chercher alliance et secours en Azerbaydjan auprès de Uzbek ibn Pahlawan. Il revint, reprit Shush mais Gökburi lui demanda alors de lui échanger Shush et Akre contre Shahrazur. Zangi fut donc éloigné du terrain ce qui n'était pas à son avantage.

Entre temps, une 3ème guerre interne autour de la succession de Hamah éclata entre les princes ayyoubides, guerre à laquelle Gökburi se mêla, en soutenant les frères adversaires d’Al Ashraf dont Ghazi, le prince d’Alep.

Et puis les Shah du Khwarizm arrivent en 1224-1225, repoussés par les Mongols à l’est. Gökburi leur fait soumission très vite, tout comme Zangi qui leur promet Mossoul (d'avance). Lu’lu est de nouveau bien isolé, d’autant qu’en 1226 al-Ashraf est battu et capturé par Kay Kobad, le sultan de Roum. Amadiyya s’est révolté contre Lu'lu mais n’a pu obtenir d'aide de Zangi, de Gökburi ou de Ghazi. Le fils de Lu’lu, Amin Al Din assiège la citadelle qui se rend en novembre 1225.

Le Shah du Khwarizm meurt en 1227 et al Kamil d’Égypte s'impose comme unique chef unificateur des Ayyoubides, dont le pouvoir décline cependant en Méspotamie alors que le calife prend de l’importance. Il est alors courtisé à la fois (de façon assez ostentatoire) par les deux lascars, Lu’lu et Gökburi qui rivalisent pour obtenir son appui. Le prince d'Erbil va même jusqu'à faire du calife son successeur pour sa ville, en 1231. Les Khwarizmi, eux, sont définitivement anéantis par les Mongols qui se rapprochent,  et font des raids à Nusaybin, Sinjar, le Khabur…  D’autres Mongols viennent d’Azerbaydjian et font de même à Erbil. C'est alors que Gökburi (âgé de 80 ans !) meurt en 1232. Le calife occupe la ville malgré une brève résistance des partisans de vieux prince turc, en juillet 1233. 

Débarrassé de Gökburi, Lu’lu est enfin reconnu sultan par le calife qui n’a plus intérêt à soutenir ce qu’il reste des Zangides, maintenant qu’il est en possession d’Erbil. Pour l'ancien esclave, son règne de sultan commençait et devait durer 26 ans. Il réussit à échapper à la dévastation mongole en se soumettant à eux (et essayant même, comme toujours, de tirer profit de cette vassalité pour continuer d'accroître son influence). Mais il mourut un an après la prise de Bagdad, en 1259,  dans ses 80 ans, lui aussi. Il n’avait cessé de combattre contre les révoltes et les tentatives d’émancipation des Kurdes de la région. 

Ses descendants se partagèrent entre la tutelle des Mamelouks (qui avaient succédé aux Ayyoubides en 1250-51) et la suzeraineté des Mongols. Ils furent finalement éliminés par ces derniers, en 1263. Quant à Amadiyya, qui abrita, sous Badr al Din, le trésor de Mossoul, elle ne fut pas dévastée par les Mongols, grâce à la politique opportuniste du vieux sultan.

C'est peut-être sous son règne que fut décorée ou (re?)bâtie la fameuse porte de Mossoul ou porte de l'Ouest  (dont le décor, de toute façon, est dans le style régional du 13e s.) et aussi la synagogue Yehezqel.




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