mardi, juillet 16, 2013

Güneşi Gördüm ou Amour, gloire et beauté à Hakkari




Que Güneşi Gördüm, de Mahsun Kırmızıgül, ait beaucoup plu en Turquie et notamment au gouvernement, n'est pas étonnant, car cela colle assez bien au discours politique de l'AKP sur la question kurde : "Nous sommes tous frères, on n'a pas toujours été très gentil avec vous, mais avec un peu de bonne volonté, tout peut s'oublier, fraternité, tout ça…"

Le problème, c'est que c'est un navet consternant qui n'explique pas un tel succès… jusqu'au moment où, à force de se frotter les yeux, on comprend : ce n'est pas un film, c'est un soap opera, digne de ces feuilletons tragico-sentimentaux dont les Turcs (comme les autres) sont friands. 

 Güneşi Gördüm alias J'ai vu le soleil (on comprend le titre tout à la fin) c'est Dallas et Les Feux de l'amour mais version chez les blédards, c'est-à-dire dans un cadre rural pour le premier volet, et dans le cadre Un idiot à Paris pour le second, avec toute une famille qui va devoir s'acclimater à la ville.

Ça commence donc dans une montagne, probablement autour de Hakkari, où ça canonne et pétarade toutes les nuits entre l'armée et la guérilla. C'est là que vit une famille kurde (c'est-à-dire entre 2 et 3 foyers, je me suis perdue un peu dans les couples et toute cette marmaille). On n'est pas dans un village, puisqu'il sont tous seuls, ce qui accentue l'impression d'étrangeté de leur situation, coincés entre la frontière et le front, et surtout complètement isolés : à part l'armée (très gentille) qui leur rend visite régulièrement, et le PKK (pas aimable) qui fait une descente une nuit, il n'y a qu'eux, ce qui est tout de même un peu étrange, quand on sait que les Kurdes sont toujours fourrés en visite les uns chez les autres. 

Tandis que l'un des Bavo s'accroche obstinément à sa montagne et ne veut pas quitter son village (un bien grand mot pour 3 maisons, mais bon), que l'un des fils fait son service et que l'autre est dans la guérilla, l'armée (des gars bien) déploie beaucoup d'efforts diplomatiques pour les persuader de partir. On n'a jamais vu une armée turque aussi diplomatique et psychologue. Impossible de les imaginer jetant,  sur les routes enneigées, tout un village, après avoir tué le bétail et mis le feu partout. Non. Ceux-ci veulent bien attendre que le grand-père se décide, hormis un commandant un peu irascible (mais c'est sa nature, en fait, on sent la bonté cachée). Au passage, ils (soucieusement) demandent des nouvelles du fiston PKK, s'il pouvait se rendre, c'est pour son bien, de qui les Kurdes ne semblent pas trop fiers, un peu comme d'un fils qui aurait mal tourné, mais bon, la famille reste la famille et quand il meurt, on pleure, même si la caméra s'attarde un peu plus sur le deuil du (très gentil) şehit (ménageons le spectateur turc).

C'est à cela qu'on peut comprendre qu'il s'agit sûrement d'une famille de korucu (gardiens de village), d'autant qu'à un moment, une des femmes énumère les nombreuses carrières qui s'offrent à un Kurde enclavé dans cette montagne : soldat, korucu ou "terroriste" (nom officiel du PKK). Comme le rôle du soldat est pris par un des fils au front, et celui du terroriste par l'autre, on peut deviner que ceux qui restent sont les korucu (#astuce).

Au passage, cela fait drôle d'entendre ces Kurdes-là, et surtout les femmes, parler turc entre eux (hormis une phrase kurde dite en Norvège, quelle audace). D'autant qu'il est spécifié que ni les gamines – et a fortiori les femmes et les matrones – n'ont jamais été à l'école. Mais pas de VO sous-titrée, ménageons les oreilles du spectateur turc.

Ceci dit, l'intrigue démarre, non sur des questions politiques, mais sur un drame domestique à la Bahman Ghobadi : 5 filles et pas de fils pour l'un des Kurdes, qui nous confronte ainsi au premier problème social kurde, parce que les soap opera doivent traiter, un par un, les problèmes de ce temps, c'est la règle : donc, comme on est chez les Kurdes : le héros va-t-il être polygame ? Suspens… finalement, non. Mais c'est de peu.

Plus tard, on a le droit à la séquence "mariée à 13 ans" (avec les conséquences sanitaires censées avertir le public kurde : ne vous mariez pas à 13 ans) avec son cousin germain (on a aussi le droit à l'enfant attardée pour dire au public kurde : arrêtez d'épouser vos cousins) ; mais comme on a vu plus haut, cette famille a l'air aussi isolée dans sa montagne que les Robinson suisses échoués dans leur île, alors forcément, ils n'ont pas eu trop le choix, à part se reproduire entre eux.

On passe à l'acte II quand, finalement brisés par la mort du fils PKK, ou du soldat turc ami de la famille, le grand-père accepte de partir (mais pas du tout forcé à coups de crosses, qu'est-ce que vous allez imaginer ). Ils ont même de quoi se payer le train, et une fois à Istanbul, un appartement (les gecekondu connais pas). C'est-à se demander où ils ont eu tout ce liquide, car il est précisé, au début du film, qu'ils n'ont pour vivre que la vente de leur fromage et yaourt. Le penîr kurde, ça rapporte autant que le parmesan, faut croire.

Bon, ils s'installent et alors que chez eux, à "l'Est", on ne mourait qu'à la guerre, c'est à dire qu'il fallait vraiment le chercher, à Istanbul, c'est l'hécatombe. La ville tue. Les machines à laver aussi (grande séquence glaçante où on a envie de dire aux deux gamines ": Damien, sors de ces corps !" Tout ça parce que un des fils, au contact des mauvais quartiers se découvre, non pas homosexuel (trop light comme drame), mais trans, autant y aller fort dans le choc des cultures… et des poings. 

Du coup, les malheurs s'enchaînent en cascade et en effet papillon : tapez sur votre frère pour qu'il arrête de se maquiller et vous allez voir ce qui arrive quand on laisse les gosses jouer avec l'électro ménager… Mère à l'hôpital, enfants placés dans un orphelinat par des juges et policiers indulgents (c'est fou comme l'État est bon pour les petites gens, les fonctionnaires sont aussi compréhensifs que l'armée turque à Hakkari). Hormis une petite allusion à la prison de Diyarbakir, une fois, mais dans les années 1980, on se demande pourquoi diable des Kurdes se sont obstinés à faire la guerre, alors qu'ils aspirent tous à s'aimer les uns les autres.

Viennent ensuite, en vrac, la question des passeurs, de l'asile politique, des mines, et au fur et à mesure que le drame se noue, les personnages passent leur temps à courir au ralenti et en musique (pas kurde, la musique, le spectateur turc aurait eu moins envie de pleurer). Cela permet d'étirer ainsi la fin jusqu'au problème social purement alla kurda : les crimes d'honneur. Ensuite la boucle est bouclée, tout le monde a compris que c'est dur d'être kurde, et encore plus kurde à Istanbul : donc (hormis ceux partis en Norvège) re-cap sur le village.  

On voit bien le retour de la famille dans les montagnes, expliquant aux militaires : "On a essayé, mais non, la ville, c'est pas pour nous." (Diyarbakir, Van et Urfa ne sont pas visibles dans le champ) et les militaires répondre obligeamment : "Ah bon ? Au temps pour nous ! Bon, ben, refaites comme chez vous, hein, on a arrosé les géraniums et nourri le chat."

Conclusion : Pour comprendre quelque chose à la guerre et à la question kurde, il vaut mieux éviter. Par contre, si vous adorez vous tordre de rire devant tous les malheurs de l'humanité (surtout kurdes) en raccourci, en grimaces, au ralenti, et en musique lacrymogène, Güneşi Gördüm est un nanar fait pour vous. Dommage que Mahsun Kırmızıgül n'en ait pas fait un feuilleton, on en aurait eu pour l'été. Là, avec seulement trois morts et une jambe en moins, le drame est un peu léger.

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