vendredi, décembre 28, 2012

Lalesh


Quelques semaines après avoir quitté Hisn Kayfâ, ils arrivèrent à Lâlish. Les Kurdes les firent descendre de cheval. Par respect pour les lieux, aucun homme, femme, enfant ni même eunuque ne pouvait avancer autrement qu’en piéton sur la terre que le défunt ‘Adî ibn Musâfir, le saint fondateur du sanctuaire, avait foulé de son vivant. Lâlish était un village charmant sous le givre et la neige qui couvraient encore le toit de ses maisons. Des habitants en déblayaient quelques-uns, à grands coups de pelle. Ils les saluaient à leur passage, répondant au sourire de Sibylle avec une timidité radieuse. Des enfants se tortillaient et se pressaient les uns contre les autres, comme une nichée de poussins, yeux baissés et chuchotant. Ils levaient parfois la tête, enhardis par les mots de kurde qu’elle leur adressait. Certains avaient les yeux d’une étrange couleur, d’un vert plus singulier encore que les siens ou ceux de Shihâb al-Dîn, teinte indécise entre le gris et l’ocre, comme les eaux du Tigre, au printemps, sont mêlées de terre et de neige fondue. Elle trouva à ce lieu et à ses gens une lumière qui parlait à son cœur, réconfortante comme une eau bienfaisante et pure. 
 – Vivre toute l’année en ce lieu leur a donné l’apparence des anges, dit-elle à voix haute. 
 Hassan, de plus en plus nerveux à mesure qu’ils approchaient de la maison des soufis, grogna : 
 – Oui, tant qu’ils sont ici, ils se tiennent tranquilles. Mais si tu les voyais dans leurs montagnes, tu les trouverais aussi pillards, batailleurs et féroces que les autres ! 
 Un groupe d’hommes vêtus de sombre les attendait. Ils n’avaient rien de derviches dépenaillés. Si leur mise était simple, elle était soignée et sans pauvreté ostensible. Ils les saluèrent en arabe et eurent l’air heureusement surpris d’entendre, non seulement Süleyman, mais également Sibylle, leur répondre de même, en tournant un compliment des plus élégants. Un homme mince, de visage agréable, exprima l’amusement de tous les autres :
 – Salut à vous, je suis Marwân ibn ‘Abd al-Qâdir, l’assistant du sheikh Abû-l-Barakat, neveu du saint sheikh ‘Adî, que Dieu l’agrée en sa miséricorde ! C’est un jour peu commun, qui nous fait recevoir une beauté au visage de lune dont on ne sait si elle est fille ou garçon, habillée en soldat turc et parlant arabe comme dans les meilleures écoles du Caire ! Nous allons vous mener dans le lieu d’hôte et voir si le sheikh voudra vous recevoir.

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