vendredi, avril 13, 2012

"Ce qu’ils voulaient, en haut lieu, c’était un âne à deux pattes"



Nous avions déjà évoqué ici l'histoire du parti de l'Âne, créé dans les années 1940 à Suleïmanieh, à l'occasion de la parution de l'article de Mirella Galletti, L'Âne dans la culture kurde. Ce parti a été refondé en 2005 et a, hier, inauguré en grande pompe et cérémonie la statue de son leader politique et spirituel, comme le rapporte le Telegraph, via l'AFP, œuvre qui est celle du sculpteur kurde Zerak Mira. 

C'est dans la ville de Suleïmanieh, berceau historique et politique de ce parti, rue Nalî (du nom du grand poète kurde, lui-même auteur d'un poème sur les ânes), qu'a été dévoilée la statue, en présence d'artistes et d'intellectuels.

Le Secrétaire général du Parti des Ânes, Omar Kalol, a exprimé son espoir que cette statue encouragerait les peuples du Kurdistan à mieux traiter les animaux en général, et les ânes en particulier :

"La statue de cet âne veut dire plusieurs choses : L'âne a joué un rôle éminent dans le mouvement armé pour la libération du Kurdistan, et il a été le seul ami des combattants kurdes dans les montagnes du Kurdistan au cours de la lutte pour les droits des Kurdes."

Le Parti des ânes a été fondé en 2005 et c'est un parti dignement autorisé par la Région du Kurdistan. Il a ses QG, ses branches locales, toutes dûment baptisées maisons des ânes et ses membres sont dénommés ânons ou ânes selon leur rang. Le Parti a même demandé du Gouvernement kurde un soutien financier afin d'ouvrir une station de radio, nommée "Zarîn" qui est le mot kurde pour désigner le braiement de l'âne en kurde.

Mais ce n'est pas le premier Parti de l'âne à Suleïmanieh, comme nous l'avons mentionné plus haut en citant l'article de Mirella Galletti :

"Entre 1940 et 1946, le gouvernement irakien décida d'autoriser la formation d'organisations syndicales dans tous les secteurs du travail en Irak. Les commerçants de la ville de Suleimanie, connus pour leur sens de l'humour et leur ironie, demandèrent à Kak Osman d'organiser un syndicat et d'en prendre la direction. Kak Osman refusa cette proposition et suggéra plutôt la création d'un Parti des Ânes dont il prendrait volontiers la direction. Tous ceux qui étaient présents se mirent à braire, d'autres donnèrent des coups de pieds… Le Parti des Ânes était né d'une plaisanterie de Kak Osman. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre peut-être parce que les distractions étaient rares à cette époque. D'après l'écrivain Mohammad Mala Karimé : "La création du Parti des Ânes avait pour but de tourner en ridicule les autres partis politiques. Les objectifs du Parti des Ânes étaient plus humains et plus sociaux et les sympathisants du parti formulaient volontiers leurs revendications librement en public." Dans les années 1950 encore, on venait chez Kak Osman pour se faire examiner les dents ou les pieds (sabots!) comme on aurait fait pour des ânes ; ce fut longtemps un sujet de plaisanterie. Si par hasard on rencontrait Kak Osman, il était accueilli par des "Bienvenue Monsieur l'Âne". Aux reproches formulés, il répondait : "Ne redites jamais cela parce que vous êtes en train d'insulter les ânes (sous-entendant : ne dites pas que cette personne qui peut être imbécile est un âne car vous insultez l'âne qui lui est supérieur). La création de ce parti devint un sujet de plaisanterie nationale et un moyen de s'amuser. Les soldats kurdes et même les soldats arabes s'arrêtaient devant la boutique de Kak Osman, esquissaient le salut militaire en disant : "Comment vas-tu, grand chef ?" Lui, le grand chef, avait préparé un cahier où quiconque avait adopté l'idéologie asine pouvait signer et adhérer au parti. Il devenait membre du parti ipso facto. Des notables également venaient à la boutique pour plaisanter quelques instants. C'est ainsi que Kak Osman recevait du courrier d'Iran et de Syrie de personnes qui souhaitaient probablement adhérer au parti. Son fils, professeur à l'université, raconte qu'il avait adopté, lui aussi, l'attitude de son père et lorsque la personne qui l'approchait faisait l'âne, il jouait le jeu en la bénissant. Il est probable que les habitants de Suleimanie ont aimé ce parti virtuel qui leur permettait de rire et de supporter les frustrations de la situation politique. Le caractère enjoué de la petite ville de Sulamanie, les années de privation et le climat politique de la petite ville de Sulamanie ont certainement facilité la propagation des nouvelles et la longévité du parti."
Enfin, l'âne kurde a un cousin égyptien, au moins en littérature, puisque dans son roman, Mendiants et orgueilleux, paru en 1951 (et adapté par Golo en bande dessinée en 1991) Albert Cossery raconte l'histoire d'un village égyptien, qui, lors des élections municipales, faillit connaître le bonheur d'avoir un âne pour maire :

"Cela s’est passé il y a quelque temps dans un petit village de Basse-Égypte, pendant les élections pour le maire. Quand les employés du gouvernement ouvrirent les ruines, ils s’aperçurent que la majorité des bulletins de vote portaient le nom de Barghout. Les employés du gouvernement ne connaissaient pas ce nom-là ; il n’était sur la liste d’aucun parti. Affolés, ils allèrent aux renseignements et furent sidérés d’apprendre que Barghout était le nom d’un âne très estimé pour sa sagesse dans tout le village. Presque tous les habitants avaient voté pour lui. Qu’est-ce que tu penses de cette histoire ? 
Gohar respira avec allégresse ; il était ravi. « Ils sont ignorants et illettrés, pensa-t-il, pourtant ils viennent de faire la chose la plus intelligente que le monde ait connue depuis qu’il y a des élections. » Le comportement de ces paysans perdus au fond de leur village était le témoignage réconfortant sans lequel la vie deviendrait impossible. Gohar était anéanti d’admiration. La nature de sa joie était si pénétrante qu’il resta un moment épouvanté à regarder le mendiant. Un milan vint se poser sur la chaussée, à quelques pas d’eux, fureta du bec à la recherche de quelque pourriture, ne trouva rien et reprit son vol.- Admirable ! s’exclama Gohar. Et comment se termine l’histoire ?- Certainement il ne fut pas élu. Tu penses bien, un âne à quatre pattes ! Ce qu’ils voulaient, en haut lieu, c’était un âne à deux pattes."

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