lundi, janvier 23, 2012

Rezan Bahri Shaykhmus: Nous déclarons clairement que ce régime doit être renversé'

Entretien intéressant, avec KurdWatch, de Rezan Bahri Shaykhmus, Président du Bureau de Relations du Mouvement kurde du Futur, qui donnera aussi une idée du bordel de la confusion politique qui règne entre les 17 ou 18 partis des Kurdes de Syrie.


KurdWatch: L'assassinat de Mish'aal Tammo, le 11 septembre 2001, a-t-il eu un impact sur le Mouvement du Futur en Syrie  ? 


Rezan Bahri Shaykhmus : La mort de Mish'aal Tammo nous a laissés une très, très profonde blessure. Pour nous, il était comme un bouclier. Il se plaçait toujours en avant de nous. C'était un politicien talentueux et un bon théoricien. Il a aidé le Mouvement du Futur à évoluer et apportait fréquemment d'importantes suggestions dans les débats. Mish'aal était de ces rares personnes qui expriment ouvertement et sans peur leurs opinions politiques. Personne n'avait agi comme lui, auparavant. Sa mort n'a pas seulement nui au Mouvement du Futur mais au mouvement kurde dans son ensemble. Son ouverture a donné à beaucoup de gens force et courage. C'était un des rares leaders kurdes estimés par l'opposition arabe. Il aurait joué un rôle important pour les Kurdes dans la nouvelle Syrie. Durant les 3 années que Mish'aal a passé en prison, nous savions qu'il reviendrait et infuserait au Mouvement du Futur son énergie. Maintenant, nous savons qu'il ne reviendra pas, et naturellement, il manque beaucoup à notre mouvement. 


Kurdwatch : Depuis 3 mois, le Mouvement du Futur est sans porte-parole. On dit que la direction ne peut s'entendre sur une personne. Est-ce vrai ?


Rezan Bahri Shaykhmus: Non. Croyez-moi, il n'y a pas de querelles du tout sur cette question. Absolument pas. De par les statuts de notre parti, le porte-parole doit être élu par une assemblée générale – et, d'ailleurs, c'est le seul leader qui ait choisi ce moyen. Nous avons un bureau pour les relations publiques qui avait assumé les fonctions de porte-parole quand Mish'aal était en prison. Nous gérons cette situation de la même façon, jusqu'à ce que se tienne le congrès de notre parti et que nous élisions un nouveau porte-parole. Par ailleurs, le porte-parole du Mouvement du Futur n'exerce pas la fonction la plus haute. Le porte-parole est seulement responsable des relations publiques. La plus haute fonction est celle de président du Bureau des communications générales.

KurdWatch: Quel rôle ont joué les autres partis kurdes dans l'assassinat de Mişal Temo ?


Rezan Bahri Shaykhmus: Les partis kurdes ont une part de responsabilité morale dans l'assassinat de Mish'aal.  Nous ne disons pas qu'ils l'ont tué. Il est clair que le régime est responsable, quels que soient les moyens qu'il a utilisés. Immédiatement après que Mish'aal a été relâché de prison, il a dit qu'il prendrait part à la révolution et se tiendrait aux côtés des jeunes activistes. Il disait que jamais il ne se joindrait à un mouvement qui voudrait engager des pourparlers avec le régime. En conséquence, des leaders de partis kurdes l'ont attaqué, dénigré, et lui ont dit qu'il ne faisait plus partie du mouvement kurde.

Après le premier attentat contre sa vie, nous avons formé une commission après les comités de coordination des activistes. La commission a engagé des pourparlers avec les partis kurdes, en appelant à leur sens de la responsabilité, et en leur demandant de faire une déclaration. Malheureusement, ils ne l'ont pas fait. Le secrétaire du parti El, Abulhakim Bashar, a même affirmé que Mish'aal voulait seulement se donner de l'importance avec ces histoires d'assassinat et que le conte qu'il nous présentait était comme sorti d'un mauvais film indien.


 KurdWatch:  Quel rôle a joué le  PYD dans l'assassinat de Mish'aal ? Il prétend que la Turquie a une part de responsabilité dans cet assassinat.


Rezan Bahri Shaykhmus: C'est absolument faux. La Turquie n'a rien à voir avec sa mort. Personne là-bas n'avait intérêt à ce que Mish'aal soit assassiné. Pourquoi les Turcs l'auraient tué ? Nous avons eu de sérieuses controverses avec le PYD ; ils l'ont attaqué vigoureusement, encore et encore. Mais une fois de plus, personne n'a pu tuer Mish'aal Tammo sans l'accord du régime. Les services secrets syriens ont tué Mish'aal Tammo. Le mouvement kurde aurait pu largement profiter de la mort de Mish'aal. Après sa mort, finalement, ils auraient pu participer activement à la révolution syrienne. Si cela avait été le cas, je suis sûr que les Kurdes auraient pu favoriser le succès de la révolution et la réussite de ses buts. Un tel rôle aurait eu des conséquences positives pour la réalisation des demandes kurdes en Syrie.


KurdWatch: Dans une interview donnée à KurdWatch, Mişal Temo déclarait que les Kurdes descendraient dans la rue en masse si un seul Kurde était tué dans les manifestations des régions kurdes. Après ses funérailles, deux manifestants ont été tués à Qamişlo. Mais une manifestation de centaines de milliers de personnes a échoué à se matérialiser. Pourquoi ?


Rezan Bahri Shaykhmus: Le soir du meurtre de Mish'aal, le mouvement politique kurde a pris des mesures pour amoindrir le nombre des participants aux funérailles. Ils ont contacté la famille et les ont convaincus d'enterrer Mish'aal dans son village. Nous, le Mouvement du futur, nous voulions l'enterrer à Qamişlo afin que son cortège funéraire et les jours de deuil ensuite tournent en de grandes manifestations. Si la Conférence patriotique kurde ne prend pas la position de défendre un seul individu, comment se ferait-il l'avocat des droits d'un peuple ? Les partis politiques kurdes ne veulent pas que les Kurdes manifestent contre le régime.

KurdWatch: Qui a décidé où Mish'aal serait enterré ? 

Rezan Bahri Shaykhmus: La famille. Mais le mouvement kurde a envoyé des responsables trouver la mère de Mish'aal, en lui demandant si plus de gens devaient mourir comme son fils, simplement parce qu'il allait être enterré à Qamişlo. Ils ont fait pression sur sa mère et ainsi, il a été décidé qu'il serait enterré dans son village. Si une décision différente avait été prise, les manifestations auraient aussi pris un tout autre tour.

KurdWatch: Comment vont Zahida et le fils de Mişal, Marsil, tous les deux ayant été blessés dans l'attaque contre Mish'aal ?  

Rezan Bahri Shaykhmus: Au vu des circonstances, tous deux vont bien. Marsil va mieux que Zahida. On lui a tiré deux fois dans la jambe. Les balles étaient des dumdum qui lui ont brisé les os. Cela prendra du temps avant qu'elle puisse remarcher sans aide.

KurdWatch: Est-ce que le Mouvement du futur va travailler avec la Conférence patriotique kurde ? Si oui, à quelles conditions ?  

Rezan Bahri Shaykhmus: Au regard de leurs positions envers le régime et la révolution syrienne, nous ne pouvons pas actuellement travailler avec la Conférence. S'ils avaient une position claire sur les points suivants, alors rien ne s'opposerait plus à la coopération : Premièrement, la Conférence doit adopter une position claire envers le régime syrien. Deuxièmement, des moyens doivent être développés pour apporter un soutien fort à la révolution syrienne dans les régions kurdes. Troisièmement, des demandes concrètes portant sur les droits kurdes dans la nouvelle Syrie doivent être formulées, indépendamment des influences extérieures et dans l'intérêt des Kurdes syriens. Quatrièmement et en dernier, les activistes et les hors-partis doivent avoir une plus grande représentation dans la Conférence patriotique kurde.

KurdWatch: Que voulez-vous dire par "une position claire envers le régime syrien" ? Cette phrase est tout sauf claire.

Rezan Bahri Shaykhmus: Nous déclarons clairement que ce régime doit être renversé. Cela fait longtemps que nous n'espérons plus que ce régime fasse quoi que ce soit pour le peuple. Ce n'est pas quelque chose que nous venons juste de commencer. Depuis notre formation en 2005, nous disons que nous sommes un mouvement d'opposition. C'est pourquoi nous rejetons tous pourparlers avec le régime.

KurdWatch: Continuerez-vous de dialoguer avec les responsables de la Conférence patriotique kurde ?

Rezan Bahri Shaykhmus: La porte est toujours ouverte pour un dialogue. Néanmoins, nous sommes forcés de former un nouveau groupe politique, l'Union des forces démocratiques kurdes. Elle se consacre entièrement à la révolution. Il est alors possible que nous formions un comité pour nous coordonner avec l'autre coalition kurde.

KurdWatch: Les groupes qui seront représentés dans ce bloc sont seulement actifs à l'étranger et n'ont pas de base au Kurdistan, comme, par exemple, le Parti de l'union du Kurdistan en Syrie, ou ils n'ont presque pas de soutiens, tel, par exemple, le parti d'Abdurrehman Aluji, le Parti démocratique kurde- Syrie. Seul le Mouvement du futur et les groupes de coordination des activistes sont politiquement actifs en Syrie. Travailler avec ces groupes politiques faibles ne nuit pas au Mouvement du futur ?


Rezan Bahri Shaykhmus: Il y a 17 ou 18 partis kurdes en Syrie. La Conférence patriotique kurde représente, elle aussi, des grands et des petits partis. C'est aussi vrai pour notre bloc. Nous avons des partis basés à l'étranger ; d'autres avec une influence moindre. Ce qui nous relie est notre position politique commune. Pourquoi ne pas nous unir sur cette base ? Nous voulons construire une Syrie civile, pluraliste, et démocratique. Cela ne nous dérange pas que la Syrie ait deux blocs kurdes, qui, avec le Parti de l'union démocratique (PYD), représentent les Kurdes au Kurdistan de Syrie. Ce sont simplement deux blocs, qui représentent deux voies politiques distinctes.

 KurdWatch: Pensez-vous réellement pouvoir bâtir plus aisément un État syrien moderne avec Abdurrahman Aluji et Abdulbasit Hammu que, par exemple, avec Abdulhakim Bashar? 

Rezan Bahri Shaykhmus: Nous fondons nos espoirs avant tout sur les jeunes activistes et leurs comités de coordination. Nous devons les remercier du fait que les Kurdes sont une partie de la révolution syrienne. Ce que ces jeunes gens ont fait en 8, 9 mois, les partis kurdes ne l'ont pas réussi en 50 ans. Nous voulons construire la nouvelle Syrie avec eux. Nous voulons former un nouveau bloc, avec l'espoir que nous pourrons, plus lard, former conjointement un nouveau parti kurde d'influence.

KurdWatch: Avec Yekitî, le Mouvement du Futur est le seul parti qui a manifesté avec les activistes ces 8-9 derniers mois. Les autres partis ont seulement pris part aux manifestations dans les régions kurdes. Néanmoins, six groupes de jeunes ont rejoint la Conférence patriotique kurde. Pourquoi ?

Rezan Bahri Shaykhmus: Ceux qui ont rejoint la Conférence patriotique kurde ne représentent pas la jeunesse indépendante ; Ils appartiennent à ces partis.

 KurdWatch: Dans quelle mesure vos demandes spécifiques pour les Kurdes diffèrent-elles de celles de la Conférence patriotique kurde ?

Rezan Bahri Shaykhmus: La différence essentielle est notre position envers le régime et la révolution syrienne, tout comme nos relations avec l'opposition. Nous disons que la nouvelle Syrie doit reconnaître les Kurdes comme une ethnie principale. Ils disent que les Kurdes sont la seconde ethnie du pays. 'Seconde ethnie' signifie que nous n'aurons jamais des droits égaux. Être une ethnie principale veut dire que nous sommes des partenaires égaux dans cet État. Les autres partis kurdes voient la question kurde comme un problème régional. Au contraire, nous voulons être partenaires dans toute la Syrie. Nous disons que de même les Arabes sont nos partenaires dans nos régions, alors nous sommes leurs partenaires dans leurs régions. Nous voulons aussi participer au processus politique dans les autres parties de la Syrie, où il n'y a pas de majorité kurde, comme Damas, par exemple. Avec les Arabes, nous voulons bâtir la nouvelle Syrie et assumer des responsabilités.

KurdWatch: À la fin de novembre, le Gouvernement régional du Kurdistan d'Irak a invité 21 membres de la Conférence patriotique kurde à  Erbil pour débattre de la  situation des Kurdes en Syrie et de la révolution syrienne. Après le retour des membres de la délégation, des désaccords auraient surgi. Que s'est-il passé ?  

Rezan Bahri Shaykhmus: Alors qu'une révolution populaire a lieu dans toute la Syrie, la Conférence patriotique kurde  se querelle et se bat au sujet de l'argent utilisé pour corrompre ses membres au Kurdistan irakien, de sorte que les Kurdes d'Irak gagnent en influence. Salih Gado a annoncé sa démission du  comité exécutif après que les 21 membres de la délégation aient été accusés d'avoir reçu chacun 10 000 $ US du PDK irakien. Ce comportement est honteux et indigne d'organisations politiques. Il doit y avoir des suites.

KurdWatch: Comment voyez-vous le futur du Mouvement du futur ? Sans un leader charismatique comme Mish'aal Tammo, sombrera-t-il dans l'oubli ? 

 Rezan Bahri Shaykhmus: Je suis convaincu que le Mouvement du futur jouera un rôle dans la période de la révolution et dans la construction de la nouvelle Syrie. Le nombre d'amis et de supporters du Mouvement du futur grandit jour après jour. Il se peut qu'aujourd'hui, nous n'ayons personne pour remplacer Mish'aal Tammo. Il avait un réel charisme et des qualités de leader. Nous essayons de combler le vide qu'il a laissé en dynamisant les institutions du Mouvement du futur, en favorisant le travail d'équipe, et en enrôlant tout le monde dans la formulation des décisions politiques. Nous, dans le Mouvement du futur, sommes prêts à poursuivre la politique de Mish'aal Tammo, une politique qui sert les intérêts de tout le peuple syrien.


KurdWatch, 18 décembre 2011.

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