samedi, juillet 16, 2011

Comment le Paradis fut trouvé, traduit, perdu et retrouvé ou Histoire du 'plus beau livre du monde'


"Au IXe siècle, Moses Bar Cephas, évêque de Mossoul, rédigea en syriaque le plus beau livre du monde. Il comporte sept cents chapitres. Moses Bar Cephas intitula l'ensemble de ses cahiers Le Commentaire du Paradis.
Moses y consigne tous les détails qui se rapportent au bonheur.
Bonheur au jardin
Première volupté charnelle.
Premiers bonheurs que connurent Ève et Adam dans les arbres et auprès de serpents, nus, choisissant des fruits, caressant les feuilles."
Pascal Quignard, Sur le Jadis, Dernier Royaume II.

Traduit en latin par Andreas Masius en 1569, à Anvers, ce traité du Paradis eut une grosse influence sur l'Édenologie de la Renaissance et de l'époque classique. Dans son History of the World, Walter Raleigh s'appuie sur lui pour contester, comme Moses, qu'Adam était de taille si gigantesque que, pour lui, un océan n'était guère plus profond qu'une mare où patauger et pour identifier l'Arbre de la Connaissance à un figuier (v. The Embrace of a fig-tree : Sexualityand Creativity in Midrash and in Milton, Jeffrey S. Shoulson). L'histoire de la traduction et de la perte et du retour du texte original syriaque est raconté par Leo Depuydt dans le Journal of Syriac Studies, vol. 9, nº 2, July 2006 :


"La première œuvre du nº 17 est d'un grand intérêt. C'est une copie du Paradis de Moses bar Kepha. Cet ouvrage est pour le moment seulement accessible au public dans sa traduction latine du XVIIe siècle, réimprimée dans la  Patrologia Graæca de Migne. La genèse de cette traduction est étroitement liée avec l'essor des études syriaques en Europe. Le traducteur était l'éminent humaniste flamand Andreas Masius. Né près de Bruxelles en 1514, Masius est reçu en 1533 comme Magister du célèbre Collège trilingue de Louvain, où, en plus des trois saintes langues —l'hébreux comme langue de l'Ancien Testament, le grec comme langue du Nouveau Testament et le latin comme langue de la Vulgate—plusieurs autres langues orientales étaient enseignées. Masius fut l'un des trois ou quatre pionniers qui jetèrent les bases de la discipline moderne des études syriaques. Il restera dans les mémoires pour avoir produit les premières études solides en linguistique syriaque, dont une grammaire et un dictionnaire, tous deux publiés à Anvers vers 1570. Ce qui est remarquable, c'est qu'il a publié la totalité de son Opus syriaque durant les quatre dernières années de sa vie. 
Masius voyagea dans toute l'Europe au service de diplomates.Vers 1550, il était à Rome, où il rencontra un érudit de Mardin appelé Moses, qui devint son tuteur syriaque. Moses était venu du Proche-Orient avec un important manuscrit qui lui avait été confié vraisemblablement par son évêque, comme un exemple représentatif de théologie syriaque. Il contenait le De Paradiso de Moses bar Kepha. Masius acheta le manuscrit et traduisit le texte, mais il ne publia que sa traduction et non le texte syriaque. On sait, cependant, qu'il en a extrait du texte pour son dictionnaire syriaque, si bien qu'au moins le vocabulaire de ce texte a été en partie imprimé. Mais l'identité et la localisation du manuscrit syriaque utilisé par  Masius me sont inconnus. La traduction  fut sans aucun doute un exploit intellectuel pour l'époque. Elle a dû contribuer significativement à préparer Masius à la rédaction de la première grammaire scientifique du syriaque classique.
Une bonne copie du De Paradiso est maintenant dans la Beinecke Library. Si l'on recherche d'autres copies, il n'est pas besoin d'errer dans les églises et monastères du Moyen Orient ni de fouiller dans les archives des bibliothèques européennes. Une expédition dans les notes de bas de page des ouvrages d'Arthur Vööbus suffit. Vööbus mentionne d'autres copies du De Paradiso. L'une d'elles, maintenant au Moyen-Orient, est jusqu'à présent connue comme la plus ancienne. Elle date de 1364/65. Le manuscrit de la Beinecke, comme l'indique son colophon, est de 140 ans plus vieux. Puisque Moses mourut vers 900, la copie Beinecke ne vient que trois siècles et demi plus tard après le manuscrit autographe. Sur la bases des copies existante, il devrait être possible d'établir une édition critique du De Paradiso. Cela pourrait être utile, parce que la traduction latine de Masius n'est jamais littérale.En fait, un contemporain de Masius, Torrentius, pensait que cette publication était indigne de lui. Une édition de ce texte viendrait aussi à propos alors que Moses Bar Kepha est une étoile montante. Il a été récemment établi que d'éminents auteurs comme  Dionysius bar Salibi et Barhebraeus ont cité Moses." Syriac Studies, vol. 9, nº 2, July 2006 

Le 29 mars 2009 eut lieu à l'université de Yale la Dorushe Annual Graduate Student Conference on Syriac Studies. Yonatan Moss, de Yale, y faisait une présentation du manuscrit contenant la version originale syriaque du De Paradiso, conservé à la bibliothèque Beinecke.

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