jeudi, juin 30, 2011

TURQUIE : L’AKP REMPORTE LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES


Le 3 mars 2011, le parlement turc avait approuvé à l’unanimité la date du 12 juin pour la tenue des élections législatives. L’année dernière, une loi avait été votée qui apportait certaines modifications au dispositif électoral, dans un souci de s’aligner sur les normes européennes : l’âge minimum requis des candidats à la députation est passé de 30 à 25 ans ; les urnes, jusqu’ici en bois, ont été remplacées par des urnes en plastique, transparentes et incassables ; le modèle des bulletins de vote a changé et les enveloppes ont une couleur différente selon le type d’élections. Alors que dans les précédentes campagnes, toutes activités militantes devaient cesser à la nuit, une prolongation de 2 heures après le coucher du soleil a été décrétée.
Une des réformes les plus notables est que l’usage d’une langue autre que le turc n’est plus pénalisé lors des campagnes électorales ce qui, bien sûr, est un geste en direction de l’électorat kurde. La loi prévoit également une peine de 3 à 5 ans de prison pour tout agissement en vue d’empêcher un citoyen de voter mais l’efficacité de cet article et son application réelle dans des régions éloignées des métropoles et en butte aux pouvoirs locaux reste à démontrer.
Le nombre des députés a également été modifié selon les données fournies par le dernier recensement. La mégapole d'Istanbul disposera ainsi de 15 sièges parlementaires supplémentaires, de 3 à Ankara, de 2 à Izmir et d’un député pour les provinces d’Antalya, Diyarbakir, Van et Şirnak.
Sans surprise, le Premier Ministre et son parti, l’AKP, ont remporté une troisième victoire aux législatives, ce qui fait de Recep Tayip Erdogan le premier chef de gouvernement turc à remporter 3 élections parlementaires de suite en augmentant à chaque fois son score. Par ailleurs, le règlement interne de l’AKP limite à trois le nombre de mandats parlementaires à ses membres. Pour 73 d’entre eux, ce sera donc leur dernière victoire électorale.
Quatre partis vont donc siéger à la Grande Assemblée nationale turque : Le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, qui va pouvoir former un nouveau gouvernement en ayant obtenu un peu plus de 50% des voix ; le Parti républicain du peuple (CHP), le Parti du mouvement nationaliste (MHP) et le parti pro-kurde pour la Paix et la démocratie (BDP).
N’ayant pas, cependant, avec 327 députés, obtenu les deux-tiers des sièges qui lui auraient permis de modifier la constitution de 1982 sans référendum, l’AKP manque également à 3 voix près, du nombre de sièges nécessaires pour proposer des changements constitutionnels par référendum il se voit obligé de prévoir de futures alliances parlementaires pour imposer d’autres réformes.
Le second parti au parlement est le CHP, Parti républicain du peuple, dont la ligne oscille entre une gauche laïque et kémaliste et un populisme nationaliste la rapprochant des mouvements d’extrême-droite, surtout sous la direction de son ancien président, le très controversé Deniz Baykal. Avec la nomination à ce poste de Kemal Kılıçdaroğlu, qui a fait campagne sur le thème de « l’ouverture » en direction des Kurdes, le parti remonte à 25.9 % et 135 sièges, tandis que le MHP, parti d’extrême-droite obtient 13%, ce qui lui permet de passer la barre des 10% de voix nécessaires pour siéger au parlement avec 53 sièges.
Ce même seuil empêchant régulièrement les députés des partis pro-kurdes d’obtenir des sièges, cette fois, les candidats du BDP avaient choisi de se présenter en « indépendants » pour ne pas être soumis à cette règle. C’est ainsi que Leyla Zana a effectué son retour en tant que député, vingt ans après son éviction de cet même parlement. Autre fait marquant dans les candidatures pro-BDP : l’élection à Mardin d’Erol Dora, un député chrétien syriaque, le premier élu de sa communauté depuis l’avènement de la république turque.
La représentation féminine est passée de 46 à 78 femmes élues, dont 44 appartiennent à l’AKP, 20 au CHP, 3 au MHP et 11 pour le BDP.
Le bon score du BDP (passé de 20 à 36 sièges), qui aurait pu amorcer un début de dialogue politique autour de la question kurde en Turquie, en lui permettant d’avoir une représentation parlementaire de poids, n’a pas empêché un de ses élus, Hatip Dicle, de voir son élection annulée par décision du Haut Conseil des élections, sous prétexte d’une condamnation antérieure de 20 mois de prison pour « propagande terroriste ».
Hatip Dicle est actuellement en détention préventive pour une autre affaire et cette élection devait lui octroyer une immunité parlementaire. Mais le Haut Conseil des élections a justifié sa décision en arguant que la condamnation avait été maintenue par la Cour d'appel seulement quatre jours avant les élections, après la confirmation des listes de candidats pour le scrutin.
Hatip Dicle, âgé de 57 ans, avait fait partie des premiers élus d’un parti kurde à remporter un siège au parlement, en 1991. Il avait été arrêté en 1994 après l'interdiction de leur parti « pour liens avec le PKK », et a passé 10 ans en prison. En 2010, il a de nouveau été emprisonné, dans le cadre d'une enquête portant sur des « branches urbaines du PKK ».
Son siège, du fait de son statut d’indépendant, n’est pas revenu à un candidat BDP mais à Oya Eronat, de l’AKP. Réagissant rapidement, les élus issus du BDP ont décidé de boycotter le parlement. Par ailleurs, cinq autres élus du BDP sont toujours derrière les barreaux en attente de leur jugement.
Dans le même temps deux députés du CHP, le journaliste Mustafa Balbay et le professeur Mehmet Haberal restent en détention en temps que suspects dans l’affaire Ergenekon, malgré les appels de leur parti à leur libération.
Un député du MHP, le général à la retraite Engin Alan, est de même accusé d’avoir pris part à une tentative de subversion et a été élu alors qu’il est toujours emprisonné.
L’annonce de l’annulation du mandat de Hatip Dicle a déclenché immédiatement une vague de protestations dans les villes kurdes et de l’ouest du pays. Près de 2.000 personnes ont ainsi participé à un sit-in à Diyarbakir. À Istanbul, un millier de manifestants se sont heurtés aux forces de l’ordre.
Le Congrès pour une société démocratique (DTK), plateforme d'associations et de mouvements kurdes, a appelé les 35 élus issus du BDP à boycotter le Parlement :
« Les députés doivent déclarer leur position ouvertement, conformément à leur précédente décision de ne pas aller au Parlement si même un seul d'entre eux est manquant. »
Le président du DTK, Ahmet Türk, a parlé d’une « décision visant à mener la Turquie au chaos (...) pour pousser notre peuple vers un climat de conflit. L'Etat, le gouvernement et la justice essaient de bloquer nos efforts pour créer un socle politique démocratique en vue d'une résolution du conflit kurde, qui dure depuis 1984 en Turquie.» (Agence Anatolie).
Le 23 juin, les 35 élus du BDP annonçaient leur décision de ne pas siéger, tant que Hatip Dicle ne sera pas réintégré dans son mandat : « Nous n'irons pas au Parlement tant que le gouvernement et le Parlement n'auront pas pris de mesures concrètes pour remédier à cette injustice et offrir des opportunités pour une résolution en ouvrant la voie à des politiques démocratiques », a déclaré le député Sefarettin Elçi, lors d’une conférence de presse tenue à Diyarbakir.
Le 26 juin, un tribunal turc rejetait également les demandes de libération de deux députés kurdes élus, Gulser Yildirim et Ibrahim Ayhan, accusés de faire partie de la branche « urbaine » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Sur les trente-six militants kurdes élus aux législatives, trois restent donc emprisonnés, la justice turque refusant d’accorder l’immunité parlementaire en ce qui concerne les accusations de « terrorisme ».
Le 29 juin, la première séance du tout nouveau parlement et le serment des élus ont donc été boycottés à la fois par le CHP et le BDP, les élus kurdes réclamant la libération des députés emprisonnés et la réintégration de Hatip Dicle, tandis que le président du CHP, Kemal Kiliçdaroglu déclarait refuser la prestation de serment tant que deux de ses députés, eux aussi emprisonnés, ne seraient pas à même d’y participer.

Résultats des législatives par parti :
Parti pour la justice et le développement (AKP) : 21 442 528 voix soit 49,83 %, 327 sièges (perd 14 sièges).
Parti républicain du peuple (CHP) : 11 131 371 voix, soit 25,98 %, 135 sièges (gagne 23 sièges)
Parti du Mouvement nationaliste (MHP) : 5 580 415 voix, soit 13,01, 53 sièges (en perd 18).
Indépendants (BDP) : 2,819,917 voix, soit 6.57 %, 35 (36) sièges (gagne 8 sièges).
Résultats dans les provinces à majorité ou forte population kurde:
Provinces remportées par l’AKP :
Gaziantep : 61.85% ; Adiyaman : 67.38% ; Urfa : 64.80% ; Malatya : 68.48% ; Erzincan : 57.39% ; Elazig : 67.35% ; Bingöl : 67.5% ; Agri : 47.54% ; Bitlis : 50.62% ; Siirt : 48.09%.
Provinces remportées par les indépendants issus du BDP :
Diyarbakir : 62.08% ; Mardin : 61.11% ; Şirnak : 72.87% ; Batman : 51.84% ; Van : 49.64% ; Hakkari : 79.87% Muş (44.34 %).
Province remportée par le CHP :
Tunceli : 56.21%.

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