jeudi, mars 11, 2010

– Fais-tu bien de t'irriter à cause du ricin ? –...



Ce livre révolutionne simplement notre regard sur le religieux. Il y réintègre le droit au doute, implicitement suggéré par le concept même de foi. Il y fait entrer la révolte contre l'apparente absurdité de l'existence, le droit au bonheur et à la jouissance. On est alors très loin du mépris pour la vie et les désirs, de la défense inconditionnelle de la foi et de la soumission, propres à une approche réductrice du phénomène religieux. Cette acceptation qui semble saper les fondements mêmes du sentiment religieux n'est pas qu'une abstraction. Très concrètement, le judaïsme a été jusqu'à instituer un droit de révolte contre Dieu, dans sa législation sur le deuil. Entre la survenue du décès et de l'enterrement, les personnes en deuil (un père, une mère, un fils, une fille, un frère, une sœur, une épouse, un mari) sont exemptés de l'accomplissement des commandements. Elles cessent de prier, de réciter les bénédictions adressées à Dieu sur la nourriture, elles n'ont pas à accomplir les rites tels que la pose des phylactères, par exemple. Autrement, quel serait le degré d'humanité d'une religion insensible aux souffrances, aux doutes et aux joies de ceux qui y adhèrent ? Peut-être est-ce le message qu'il faut lire derrière la canonisation de l'Ecclésiaste.
Philosophies d'ailleurs II. Les Pensées hébraïques : L'Ecclésiaste, Raphaël Draï.


En fait cette grande colère, ou bouderie, ou indignation que peut avoir l'homme contre Dieu, on la retrouve souvent dans l'Ancien Testament, sans que Dieu ait toujours le dernier mot, ou du moins qu'on assiste immanquablement au repentir et à la soumission de sa créature. Jonas se met en colère car Dieu le fait passer pour un con devant les Ninivites avec ses prédictions qui s'annulent. Certes l'Eternel lui inflige une leçon très pédagogique, avec un ton des plus mesuré, presque moqueur :
Fais-tu bien de t'irriter à cause du ricin ?

Mais si le dialogue se conclut sur les dernières paroles de Dieu, qui lui démontre sans doute son tort, Jonas se tait. Boude-t-il toujours ? On n'en sait rien. En tout cas il ne reconnaît pas explicitement ses torts. Pour toute réponse, son silence : –...

Pour Job, c'est l'inverse mais le plus drôle, et le plus passionnant de toute l'histoire, est que, tout à la fin, quand Dieu survint et tonne, dans le style "sais-tu à qui tu parles, là ?", Job se repent ("met sa main sur sa bouche") mais pour finir ce sont les trois autres, qui n'ont cessé, de leur point de vue, de défendre la "cause de Dieu" qui se font engueuler pour n'avoir pas bien parler de Lui, et c'est à l'intercession de Job qu'ils vont échapper à la punition. Comme dirait le Christ, comprenne qui pourra :

Après que l'Éternel eut adressé ces paroles à Job, il dit à Éliphaz de Théman: Ma colère est enflammée contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n'avez pas parlé de moi avec droiture comme l'a fait mon serviteur Job.

Prenez maintenant sept taureaux et sept béliers, allez auprès de mon serviteur Job, et offrez pour vous un holocauste. Job, mon serviteur, priera pour vous, et c'est par égard pour lui seul que je ne vous traiterai pas selon votre folie; car vous n'avez pas parlé de moi avec droiture, comme l'a fait mon serviteur Job.

En tout cas, avec le christianisme, on perd cette familiarité, cette proximité avec Dieu, malgré cette idée de Père aimant (ou peut-être à cause de cela). Et puis le Christ coupe l'herbe sous le pied des râleurs, ayant, paraît-il, choisi de souffrir et d'être supplicié à cause de pour nous. Même si c'est un peu déloyal comme argument, ça casse un peu les récriminations. On ne peut plus, après Jésus, se battre avec Dieu (ou ses envoyés) comme Jacob, l'Éternel ayant finalement décidé d'encaisser les coups sans les rendre et même en en redemandant. Du coup, ceux qui tapent Dieu sont les méchants, ceux à qui personne n'a envie de ressembler : les Romains. De plus, curieusement, dans son humanité, le Christ apparaît beaucoup plus sévère, distant, imposant que le Dieu de l'Ancien Testament, celui avec qui David rit et danse, par exemple. Ça ne va pas s'arranger avec l'islam, hormis les bektachis (mais eux se sont inspirés de tellement de sources religieuses diverses qu'ils ont pu piquer ça aux juifs).

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