mercredi, janvier 06, 2010

Leave-taking : "Your Soul went with the Jews"


Haya Gavish, retraçant l'histoire des Aliyah successives des juifs du Kurdistan, de la fin de l'Empire ottoman jusqu'à la destitution de leur nationalité en 1951, met en évidence des documents écrits intéressants sur la façon dont étaient perçus les juifs kurdistani par rapport aux juifs irakiens. Dans son ouvrage Grandir au quartier kurde, Claudine Cohen avait montré le statut inférieur de ces juifs "rustiques" par rapport aux autres communautés européennes dans la société israélienne, considérés comme des orientaux basiques, tribaux, machos, etc. Mais tout au contraire, pour les premières organisations sionistes chargées de délivrer des certificats d'émigration en Palestine, ces juifs-là avaient la préférence aux juifs d'Irak, comme les Baghdadi citadins, ces "Levantins inaptes au travail de la terre". Les juifs du Kurdistan, vus comme des fermiers, des paysans (ce qu'ils étaient loin d'être tous) sont dépeints invariablement comme courageux, loyaux, durs au travail, aptes aux travaux agricoles, et surtout très pieux, ce qui, paradoxalement, leur donne des qualités morales qui les rapprochent du sionisme laïc : intégrité, sens de l'honneur, loyauté, esprit de sacrifice, dévotion au pays d'Israël, etc.

Haya Gavish hiérarchise les 3 raisons principales qui pouvaient pousser les juifs du Kurdistan à l'Aliyah jusqu'aux tensions finales et aux persécutions de l'État irakien : La première est incontestablement la piété ; Eretz-Israël est vu comme le pays béni, le but final de tout juif religieux ; la seconde est l'insécurité des routes. Comme beaucoup de juifs sont marchands ou colporteurs, se faire rançonner n'est pas idéal pour les affaires ; la troisième sont les difficultés économiques dans un Kurdistan très pauvre : les juifs étant une sous-minorité, leur statut est encore plus précaire.

En 1951, la question ne se posait plus. Menacés et rançonnés plusieurs fois par les officiels ou les aghas, les juifs sont soudains sommés de partir, qu'ils le veuillent ou non. Alors les Kurdes, qui n'avaient pas toujours été si gentils que ça avec eux, éprouvent un grand chagrin, tout à fait sincère pour ces abandonniques congénitaux :

L'Aliyah pour Israël impliquait une émancipation non seulement sociale, mais aussi nationale. Les juifs de Zakho, une minorité qui était à la merci de leurs voisins kurdes étaient sur le point de se libérer de leur dépendance envers les autres et de leur statut inférieur ; ils allaient parvenir à leur propre émancipation nationale en Israël. Dans l'ensemble, les relations entre les Kurdes et les juifs avaient été généralement bonnes, en dépit de période de régression, surtout pendant la guerre d'Indépendance d'Israël ou leur harcèlement par des musulmans à titre individuel.

L'annonce que les juifs avaient été déchus de leur citoyenneté irakienne frappa leurs voisins kurdes comme la foudre. Quant ils réalisèrent que les juifs étaient sur le point de partir, leur attitude envers eux vira à l'extrême et pour le meilleur, alors qu'ils réalisaient la grosse perte que ce serait pour la ville et son économie. Il y avait une affinité culturelle entre les juifs et les Kurdes : les deux avaient un mode de vie similaire ; ils prônaient les mêmes valeurs concernant le mariage, la famille, et l'honneur ; ils mettaient leur foi dans les mêmes croyances occultes ; ils vénéraient les mêmes tombes sacrées. La mémoire collective des juifs de Zakho restitue le grand chagrin des Kurdes du départ des juifs, car ce fut pour eux une grande surprise, et aussi parce que les Kurdes sentaient qu'ils ne pourraient plus jamais bousculer et intimider leurs voisins kurdes. Les Kurdes ne voulaient pas être débarrassés des juifs.

Meir Zaqen, qui a vécu un certain temps la période d'avant l'exode des juifs de Zakho décrit une "lelliye juive", une cérémonie du henné que les juifs effectuaient pour un jeune musulman sur le point de se marier. Ce garçon travaillait comme serveur dans un café. Parmi ceux qui étaient présents à la cérémonie, il y avait un barbier kurde qui, en dépit de son amitié pour les juifs, était capable de se comporter avec violence envers eux quand un sermon du Vendredi l'avait enflammé à la mosquée. Meir raconte : "Nous sommes restés assis toute la nuit... en nous tenant embrassés l'un l'autre et ils priaient et ils nous enlaçaient et pleuraient parce qu'ils savaient que dorénavant, l'affaire n'était plus sous leur contrôle."

La fierté nationale montrée par les juifs à ce moment reflétait leur intime conviction qu'ils étaient devenus des égaux parmi les égaux. Meir raconte comment il eut l'audace, une fois, de provoquer Hadji Ahmed, l'un de ses ennemis : "Je lui ai dit des choses que vous ne pourriez jamais croire... : "Nous allons en finir avec vous,attendez un peu et vous verrez ce que nous vous ferons quand nous serons en Israël." Il me dit ceci pour montrer la façon dont les juifs portaient la tête haute :
Nous célébrions le Serhane après avoir été enregistrés comme immigrants pour Eretz Israël. Nous dansions sous la pluie, et nous avons aussi dansé dans les rues. Nous avons franchi un pont, le pont Sa'adon, et nous sommes passés près de la maison de Hadji Ahmed et nous avons passé les cafés où les juifs avaient l'habitude d'aller. Là nous avons dansé et crié : "Vive Chaim Weizmann !" La personne qui criait cela était Avraham Bechavod... Il dansait et nous le soulevions avec nos mains et il criait "Vive Chaim Weizmann !"... Qui aurait osé dire cela six mois auparavant ?"

Alors que la date du départ approchait, "ils nous devinrent très affectionnés quand ils apprirent que nous allions émigrer", raconte Meir Zaqen. "Ils le regrettaient. Nous étions les tailleurs et les cordonniers de la ville. Le commerce était entre nos mains... et ils disaient " Les juifs sont partis. Rien ne reste." Quand je demandais à Meir : "Mais ils pouvaient alors prendre tous vos biens ?" il répondit : "Quels biens pouvaient-ils prendre ? Une 'peste', voilà ce qu'ils ont eu ! Ils ont eu une ville désolée où le commerce s'est effondré après que nous l'avons laissée." Sur un ton sarcastique, il ajouta : "Ils ont eu nos maisons."

Meir raconte ce qui suit au moment de quitter Zakho : "Il arriva que notre groupe [le deuxième] fut très grand... Au moment de l'aliyah, les musulmans – hommes et femmes – vinrent dans nos quartiers et pleurèrent. Ce fut très émouvant." Gurji Zaqen raconte : "Les soirs un peu avant le départ, une délégation de musulmans visitaient les foyers des juifs et pleuraient. Il y eut même une fois où l'un d'eux s'est presque tué en se frappant la tête sur un poteau électrique : 'Ah, ah, où s'en vont mes frères ?' Ils voulaient aussi que les juifs partent heureux. "Et il y avait des fois où ils louaient un dola et une zirna et venaient dans les quartiers où il y allait avoir des départs le lendemain et allaient de maison en maison pour les mettre en joie."

Salih Hocha, qui mena le troisième groupe des émigrants, raconte l'adieu des notables kurdes et de la famille de Shamdin Agha, la plus riche famille de Zakho, qui avait placé les juifs sous sa protection. Salih était en relation étroite avec cette famille car il avait travaillé en tant que comptable pour Hazim Bak : "Ils prirent congé de nous, Hazim Bak, Hadji Agha et d'autres notables. Ils vinrent vers nous et nous demandèrent pardon [une coutume kurde avant de se dire adieu, n.d.t]. Ils nous dirent au revoir, nous remercièrent. Ils nous dirent : "Nous avons travaillé ensemble. Cela a été agréable de partager votre compagnie." Vraiment, ils ont pleuré." Et c'est ainsi que les Kurdes ont dit adieu aux juifs de Zakho, quoique la même atmosphère conviviale ne fût pas en tous lieux. Salih me dit ce qu'il savait de l'exode dans certains villages : "D'après ce que j'ai entendu, quand les juifs sont partis, des pierres ont été lancées sur leur bus. Ils se sont enfuis."

Salim Gabbay, qui quitta Zakho avec le dernier groupe de migrants, dit : "Nous sommes partis dans beaucoup de réjouissances... Des deux côtés se tenaient les Gentils et, comme le convoi de nos véhicules passait, ils pleuraient. C'est la seule ville du Kurdistan où les juifs sont partis de cette façon."

L'histoire qui reflète plus que toute autre le chagrin des Kurdes au départ de leurs voisins juifs est celle d'Abdul Karim Agha, le chef de la police de Zakho, qui devait assurer la sécurité des migrants et accompagné les trois groupes jusqu'à Mossoul mais qui mourut avant de faire la même chose pour le quatrième groupe. Beaucoup le voyait comme un Gentil vraiment bon, bien qu'un plus petit nombre pense qu'il n'était pas si altruiste que cela et recevait une gratification économique. Selon Gurji Zaqen, certains des olim du troisième groupe revinrent même à Zakho pour les funéraille d'Abdul Karim Agha : "Ils virent sa femme monter son cheval et porter toutes ses armes : cartouchière pleine de balles, un pistolet là et une carabine sur l'épaule. Elle endossa ses vêtements et mena le convoi funéraire, la procession, et cria : "Ton âme est partie avec les juifs !"

La réaction douloureuse des Kurdes au départ des juifs fut sincère. Les Kurdes étaient eux-même une minorité de la société irakienne, marqués par une fidélité tribale et conservatrice, et dans l'ensemble, maintinrent de bonnes relations avec les juifs en contraste avec les Arabes, qui se considéraient loyaux envers l'État et au pan-arabisme, et donc traitèrent les juifs rudement. Bien que les Kurdes dominassent les juifs, ils les voyaient comme une partie intégrante de leur société. Il se peut que les Kurdes, avec un sixième sens, réalisèrent que l'exode juif de Zakho signifiait qu'ils allaient perdre un élément organique d'un tissu économique, culturel et humain qui existait depuis des centaines d'années.

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