mercredi, septembre 02, 2009

Richard et Saladin : Masse d'acier contre coussin de soie


Il les conduisit dans un splendide pavillon où l'on trouvait tout le luxe royal que l'on peut imaginer. De Vaux, qui servait Richard, lui ôta sa chape (capa), long manteau qu'il portait pour le voyage, et le roi se trouva devant Saladin dans l'étroite tunique qui mettait en valeur sa puissante constitution, saisissant contraste avec la robe flottante qui dissimulait la taille grêle du monarque oriental. Ce fut l'épée à deux mains de Richard qui attira surtout l'attention du Sarrasin : une lame large et droite dont la longueur apparemment difficile à manier, allait presque de l'épaule au talon de son possesseur.

– Si je n'avais pas vu ce glaive flamboyer au premier rang de la bataille comme celui d'Azraël, j'aurais eu peine à croire qu'un bras humain puisse le manier. Pourrais-je demander au Malek Ric de le voir en frapper un coup, pacifiquement, pour en éprouver la force ?
– Volontiers, noble Saladin, répondit Richard.

Et cherchant des yeux quelque objet sur lequel exercer sa force, Il aperçut une masse d'arme en acier que portait un des esclaves. La poignée était du même métal et mesurait environ un pouce et demi de diamètre. Il la posa sur un bloc de bois.

L'inquiétude qu'éprouvait de Vaux pour l'honneur de son maître l'amena à lui chuchoter en anglais :
– Pour l'amour de la Sainte Vierge, prenez garde à ce que vous allez faire, sire ! Vous n'avez pas encore recouvré toutes vos forces; ne permettez pas à l'infidèle de triompher !
– La paix, imbécile ! dit Richard qui était sûr de son fait et regardait autour de lui avec fierté. Crois-tu donc que je puisse échouer en sa présence ?

La grande épée étincelante, brandie à deux mains, s'éleva au-dessus de l'épaule gauche du roi, décrivit un cercle autour de sa tête, retomba comme propulsée par une énorme machine de guerre et la barre de fer roula à terre, coupée en deux comme un baliveau sous la serpe d'un bûcheron.

– Par la tête du Prophète, quel coup splendide ! dit le sultan, examinant d'un œil critique et connaisseur la barre qui venait d'être scindée en deux; la lame de l'épée était si bien trempée qu'elle ne semblait n'avoir nullement souffert de cet exploit.

Il saisit alors la main du roi dont il examina la largeur et la musculature, et il rit en la comparant à la sienne, si maigre et décharnée, si dépourvue de nerfs et de muscles.

– Mais oui, regarde bien, dit de Vaux en anglais. On n'est pas près de voir tes longs doigts de singe accomplir un tel exploit avec ta belle faucille dorée.
– Silence, de Vaux ! Par Notre Dame, il comprend ce que tu dis ou le devine ! Cesse donc tes bouffonneries, veux-tu !

Peu après, en effet, le sultan déclara :
– Il y a une chose que je tenterais volontiers... mais pourquoi les faibles montreraient-ils leur infériorité en présence des forts ? Cependant, chaque pays a ses propres sports et celui-ci peut être nouveau pour le Malek Ric. (Sur ces mots, il ramassa un coussin de soie rempli de duvet et le plaça de chant). Ton épée, mon frère, peut-elle fendre ce coussin ?
– Non, bien entendu. Aucune épée au monde, fût-ce l'Excalibur du roi Arthur, ne peut fendre ce qui n'offre aucune résistance.
– Regarde bien !

Et, relevant la manche de sa robe, Saladin découvrit son bras, certes maigre et sec, mais qu'un exercice constant avait endurci au point d'en faire un agglomérat d'os, de muscles et de nerfs. Il dégaina son cimeterre dont la lame, étroite et courbe, ne resplendissait pas comme les épées des Francs mais était d'un bleu mat où couraient une infinité de lignes croisées, prouvant avec quel soin le métal avait été travaillé par l'armurier. Brandissant cette arme, apparemment bien faible comparée à celle de Richard, le sultan s'appuya de tout son poids sur le pied gauche, incliné légèrement en avant, se balança un moment comme pour viser plus juste, puis, s'élançant brusquement, transperça le coussin avec son cimeterre, utilisant le tranchant de la lame si adroitement et sans effort apparent que le coussin sembla plutôt se diviser en deux que se séparer sous la violence du coup.

– C'est un tour de passe-passe, dit de Vaux, se précipitant pour s'emparer de la partie du coussin qui avait été détachée, comme pour s'assurer de la réalité de la chose. Il y a de la sorcellerie là-dedans !

Walter Scott, Le Talisman

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