samedi, mai 09, 2009

La sagesse est un devenir angélique de l'homme


Murillo, La cuisine des anges, 1646, musée du Louvre


"Si l'intelligence est notre vraie réalité, si l'homme intelligible est au centre d'une anthropologie, héritée de Plotin, qui en fait l'origine et le terme de l'homme psychique et de l'homme sensible naturel, l'intelligence est bien la puissance métaphysique par excellence. Or l'intelligence ne fait qu'un avec le coeur, de sorte que "l'amour s'ensuit de la perception de l'être, parce que celui-ci est bien pur. L'intuition de la présence de l'être conduit aux pratiques suprêmes de la contemplation, que Mollâ Sadrâ ne craint pas de désigner par les trois modulations suivantes de l'amour : l'amour fou (al-hayamân), l'amour spirituel (al-'ishq al-rûhânî) et l'amour divin (al-mahabba al-ilâhîya). La métaphysique instruit une pratique de la liberté, à l'imitation de la liberté divine, et cette liberté s'inscrit dans la nature même de l'intelligence, qui n'a de lien qu'avec Dieu et exprime éminement la spontanéité créatrice de l'Impératif divin : intelliger, c'est libérer son propre soi de toutes les attaches mortelles, de toutes les oppressions de la matière et des passions. Inversement, la pratique de soi impose d'intelliger, c'est-à-dire de saisir l'être en son évidence immédiate, en son surgissement ordinaire."




"La sagesse est révélation, dans la mesure où elle dévoile les réalités des choses, depuis les Intelligences immatérielles jusqu'aux substances vouées à la génération et à la corruption. Elle est révélation encore, puisque Dieu lui-même, en son être qui s'identifie à sa science, se manifeste en la sagesse humaine, en laquelle sont expérimentées les épiphanies de ses noms les plus beaux. Elle est révélation enfin, en ce qu'elle ouvre aux hommes la voie d'une connaissance d'eux-mêmes où ils s'éveillent de l'oubli, savent leur destin, accèdent à la réalisation des exigences morales, où ils éclairent de leur intelligence pratique les décisions de leur volonté et font de leur liberté une liturgie et une glorification perpétuelle. La gnose est transfiguration du sujet par l'actualisation de ses plus hautes potentialités, qui ne s'achèvent pas avec les promesses de ce monde-ci (perfection naturelle) mais portent en elles des perfections surnaturelles, la constitution du corps de résurrection dans l'outremonde et l'ascension vers les réalités intelligibles angéliques. La sagesse est un devenir angélique de l'homme."





Femme au miroir, Riza i-Abbasi, 1618, Detroit Institute of arts

"Comment l'être abstrait serait-il bien pur ? Le bien est objet du désir. Il doit être effectif et réel, car les désirs, la nature, la volonté et la disposition naturelle ne se tournent pas vers la simple fiction de l'entendement. Rien ni personne ne recherche, par le désir intime au coeur de sa nature, une simple signification abstraite. Nul n'aspira à posséder un intelligible premier. Dans sa philosophie de la résurrection, Mollâ Sadrâ dira que le salut effectif de l'âme serait dérisoire s'il s'agissait pour l'intellect de posséder la connaissance de quelques généralités conceptuelles. S'il y a désir d'éternité, il faut que l'éternité soit une réalité effective, un état concret de l'être, une vérité expérimentale."

"Il y a deux points de vue sur les quiddités, deux considérations de ce qu'elles sont, qui vont permettre de généraliser le modèle du miroir. Selon le premier point de vue, l'acte d'être du réel est le miroir des quiddités, puisqu'elles apparaissent en lui, étant les concomitants de ses noms et attributs. Le principe divin est le miroir où se manifestent les quiddités, qui n'ont pas d'autres lieux épiphaniques que le réel lui-même, d'autre être que l'acte d'être. Mais les quiddités sont le miroir du principe, étant les lieux épiphaniques de ses noms et attributs. Selon ce modèle généralisé, le miroir est miroir de miroirs, l'être est réfléchissement de soi sur soi, il est épiphanie d'épiphanies, miroir qui renvoie l'image d'un miroir où se reflète son image. Le principe, le réel, est ce point unique, intensité pure, qui est point aveugle de toute la manifestation. Sitôt que nous nous situons au niveau de la révélation, dans les noms et les attributs, nous entrons en un univers d'images, dans un réseau de miroirs. L'islam est ce monde où la réalité est toujours spéculative, parce qu'elle ne peut être que spéculaire, où toutes choses, depuis le créé jusqu'au Dieu qui se révèle, est une lumière réfléchissante en une autre lumière. Royaume d'ombres et d'apparitions mêlées où le rêve est prémonitoire et l'action la plus vive retourne vite au monde des rêves.

Le miroir du réel trouve dans le réel son propre miroir. Le contemplatif achevé est le témoin des trois "naissances", celles d'ici-bas, celles de l'imagination et celles de l'intelligible. Il contemple les deux miroirs, monde créaturel, monde de l'impératif, le miroir des formes et le miroir du réel unifiés, sans dissociation ni différenciation. La dialectique de l'unité et de la multiplicité se convertit pour lui en un échange spéculaire."

"Le mouvement de l'être, son "inquiétude", comme dit très bien Corbin, c'est la liberté même de l'être, produisant toujours, au-delà de l'une de ses expressions, une expression plus intense, dépassant sans cesse le fini en sa persévérance infinie. Mais c'est aussi l'engendrement d'une gradation, qui "module" l'être continu selon une infinité de degrés et de différentiels."

"Le renouvellement n'a pas lieu par quelque chose d'extérieur, comme nous disons qu'un corps se meut sous l'effet d'un autre corps. Nous devons distinguer ce en quoi il y a antériorité (le temps extérieur) de cepar quoi il y a antériorité, l'histoire concrète du réel. C'est par leurs ipséités, et non par une relation adventice, que perfection et déficience, puissance et faiblesse, antériorité et postérité constituent les existants. Le père vient avant son fils, et son être de père porte en lui sa position temporelle. Plus généralement, nous pouvons être antérieurs à nous-mêmes, ou au contraire déchoir et nous dégrader, de sorte que nous serons nos propres tard-venus, les décadents de notre propre histoire."

"L'ontologie de Hegel exprime la synthèse occidentale de la liberté de Dieu et des chaînes ou détermination des hommes dans la guise de l'amour et dans les formations de l'histoire mondiale. L'Âge de l'amour est l'Âge de l'esprit, réalisant en lui les promesses du Fils. Mais il est aussi l'harmonie finale des sphères historiques, sans qu'il y ait de contradiction entre l'existence terrestre et l'existence spirituelle. Mollâ Sadrâ, achevant d'exprimer l'ontologie de l'islam, dit tout autre chose : l'amour est l'expérience d'une tension, d'une motion jamais achevée, d'une élévation sans terme final. Il mobilise les existants, les degrés d'existence (naturels, psychique, intelligible, et inquiète l'épiphanie du réel. Le réel caché demeure inaccessible, indicible, fomentant sans cesse une existence intense, se retirant de toute réconciliation finale, si ce n'est dans l'extase de l'extinction de soi. L'histoire de l'être ne peut rejoindre son principe suréminent, elle porte en elle la mélancolie de sa perte et la joie de sa présence. Dieu "est apparu en ce qu'il est caché".



"Il est à Sadrâ indispensable de donner une validité métaphysique aux prophéties qui annoncent la fin du monde et le bouleversement de toute réalité stable. Le devenir et la ruine des choses créées est pour lui vérité révélée. Mais aussi bien leur transmutation et leur salut en une rétribution future qui ne récompense pas seulement les hommes fidèles, qui offre à tout existant, du plus simple des Eléments jusqu'à l'Intelligence, une proximité avec le divin qui consacrera sa surexistence en l'autre monde. La philosophie du mouvement prépare la doctrine de la résurrection corporelle et du salut spirituel. A l'inverse, aucune théorie du salut ne pourrait se satisfaire d'une conception faible du mouvement, qui n'accorderait pas au mouvement toute sa puissance, en le situant au coeur des substances elles-mêmes. Ainsi, la pensée du devenir est-elle nécessaire à l'exégèse du Coran, aux promesses prophétiques. Une pensée de l'intensification et de la croissance exige que l'être soit intrinsèquement pensé dans la guise du devenir."

"Le monde n'est pas éternel (qadîm). Le mouvement, et le temps avec lui, sont d'abord intuitionnés dans cette antériorité du néant par rapport à l'être et cette postériorité du néant succédant à l'existence, qui sont la traduction en chaque réalité instaurée de sa potentialité, de sa pauvreté ontologique. Si les cieux, malgré leur ronde imperturbable, sont aussi périssables que le moindre végétal composé de manière et de forme, c'est qu'ils portent en eux, comme lui, cette précarité, cette instabilité."

"Le mouvement essentiel est au coeur de la métaphysique eschatologique de Mollâ Sadrâ, parce qu'il conduit du sensible à l'intelligible, qu'il unit les trois grands régimes de l'être, la nature, l'âme, l'intelligence. Il convertit le temporel en éternel, reconduit du multiple à l'unité, il est l'histoire de l'acte d'être, orientée vers le maximum d'unité. Loin de traduire une faiblesse, il est la rédemption de toute finitude. Le monde est évanescent, parce qu'il s'involue dans l'autre monde et dans la stabilité ultime des noms divins. Le mouvement naturel est la quête inachevée de la perfection."

"L'éduction à l'être (hodûth) est identique à l'évanouissement : telle est la thèse fondamentale. Elle exprime une intuition du mouvement, une saisie de ce qu'il est en sa réalité : l'identité de l'être et du non-être. Non pas leur distinction, mais leur communauté foncière en toute réalité dotée d'une certaine potentialité. Chaque "partie" d'un mouvement entraîne le néant d'une autre partie, "mieux" ! Elle est le néant de cette autre partie." Le mouvement, c'est, indissolublement, la disparition, chose après chose, et l'éduction à l'être, chose après chose. Dans le devenir, être et non-être sont des termes réciproques, l'un passe sans cesse dans l'autre. Il existe un premier moteur immobile, mais tout ce qui est causé par son activité est, dans sa substance même, en devenir. Son acte d'exister se déploie dans le battement de l'anéantissement et de la manifestation."

"Sadrâ vit dans cette conviction qu'un homme n'est jamais homme une fois pour toutes, qu'il ne reçoit pas l'humanité comme uen forme naturelle qu'il aurait à actualiser naturellement, par une simple croissance de ses forces. Il adopte largement la doctrine aristotélicienne des vertus, mais il l'inscrit dans le motif eschatologien de l'islam shî'ite : on devient homme parfait, où l'on tend vers l'homme parfait (le Prophète, l'Imâm), par imitation de ses perfections morales et de ses vertus intelligibles. Quand un homme vit de la vie de l'intelligence, pratique et théorique, il devient autre que ce qu'il était à sa naissance corporelle. Il doit choisir entre un destin animal ou un destin vraiment humain, c'est-à-dire un destin angélique. Il peut devenir un tyran de soi et des autres, ou un homme libre reflétant la spontanéité et la lumière de Dieu."

"Chaque substance et chaque vie procèdent seulement des mouvements de l'intelligence et la substance de l'intelligence conserve chaque vie qui est au-dessous d'elle. Chaque voyageur, là, qu'il soit intelligence ou vie, voyage en un chemin de vie et son passage traverse les choses de la vie. Et de même que le voyageur sur cette terre voyage seulement sur une route terrestre, de même que les choses par lesquelles il passe sont seulement terrestres, elles toutes, bien qu'elles soient nombreuses et diverses, de même celui qui voyage sur cette terre vivante, voyage seulement sur le chemin de la vie et les choses par lesquelles il passe sont aussi vie, et le vivant voyage sur cette terre vivante."

"Le temps effuse de la liberté divine, par la médiation de l'impératif suprême nommé l'Intelligence agente et l'Esprit. Le temps exprime la liberté impérative, infondée, la spontanéité créatrice de Dieu, qui se manifeste dans la personne d'un ange rapproché, enveloppant en lui de nombreux anges qui sont les armées divines. Le mouvement anime le monde de la création, déterminé par le décret divin, il est fait de réalités corporelles et de natures advenant dans le temps, graduelles dans leurs actes d'être, monde procédant du monde de l'impératif, intelligible et libre, qui est le monde des anges rapprochés. Le temps est le verbe de l'ange. L'ensemble de la création est un mouvement qui célèbre la liturgie angélique, qui prononce dans le temps la réponse modulée que le Dieu révélé adresse au Dieu caché, puisque les armées angéliques sont la révélation que Dieu opère pour soi dans le miroir de l'Intelligible. Le temps est ainsi l'expression d'une réalité singulière, vivante et personnelle, l'angé de la révélation. Il n'y a pas de temps "impersonnel", neutre et privé de toute signification."

"Cette unité de l'anéantissement et de l'existence la pluis haute, l'amour fou en est l'image. Les formes intelligibles, où culminent les monades d'existence emportées par le mouvement essentiel, ne sont pas des abstractions intellectives, ne sont pas les intelligibles seconds de la tradition aristotélicienne. Ce sont les sujets de l'amour éperdu, les fous d'amour (al-muhayyamûn), "qui ne jettent jamais un regard à leur propre soi, à cause de leur disparition hors de leurs ipséités et du nivellement des monts de leur existence" tout en étant "des rayonnements et des éclairs de lumière intelligibles de la lumière première, subsistant par sa subsistance et non par sa donation d'une quelconque préservation". L'amour éperdu résout ainsi le problème logique de l'unification du multiple, insoluble au niveau du concept. Il gouverne l'ensemble de l'éthique personnelle du fidèle, du "vrai tenant de l'unité, praticien du dévoilement spirituel", autrement dit du fidèle shî'ite véritablement inspiré par l'expérience personnelle et l'enseignement des Imâms. Un islam ésotérique, culminant en pratique d'amour, tel est indiscutablement l'univers de pensée de Mollâ Sadrâ."


Sultan Ahmet I, 1603, National Museums of Scotland (Inv. 1888.88).

"
Le fait pour l'âme d'être une âme, sa "psychicité" (nafsîya), n'est pas un simple accident étranger à son essence, comme peut l'être la paternité du père ou l'écriture pour l'écrivain. L'âme régit le corps autrement que le constructeur bâtit son ouvrage. Qu'elle soit "âme" est un mode de son acte d'être singulier, toute son existence y est engagée, en une activité et une union essentielle au corps : "La quiddité de l'âme ne possède pas un autre acte d'être en fonction duquel elle ne serait pas âme. Sinon qu'après des perfectionnements et des transformations essentielles qui lui adviennent en son essence et sa substance, elle devient intelligence agente après avoir été intelligence en puissance." Sadrâ veut que l'âme, quand elle est la forme et la perfection d'un corps naturel, soit pleinement ce qu'elle est, quitte à subir le mouvement essentiel d'intensification qui la métamorphosera en une autre "naissance", en intelligence agente absolument immatérielle.

C'est abandonner une image naïvement platonisante de l'âme, qui en ferait d'abord une substance intelligible, séparée de toute matière, qui l'imaginerait ensuite s'éloigner du monde des intelligences pour s'appliquer aux matières élémentaires. Cette conception se heurte à la difficulté récurrente de penser l'union de deux réalités, l'une immatérielle, l'autre matérielle. En revanche, si l'on pose que le lien de l'âme et du corps, qui s'exprime dans la régence que l'âme exerce sur le corps, est une réalité essentielle pour l'âme, cette relation n'a plus lieu après coup, mais elle constitue l'âme en tant que telle. L'âme ne cesse pas, pour autant, d'être une substance, mais elle cesse simplement d'être une substance intelligible séparée."


Et voilà cet amour des animaux qui explique pourquoi les néoplatoniciens musulmansme seront toujours plus proches que les chrétiens (et c'est aussi le cas d'al-Jawzî qui est pourtant loin de valoir, humainement parlant, Mollâ Sadrâ). Ce n'est pas à lui qu'il faut dire que les animaux, "sans âme", n'entrent pas au Paradis...

"Sadrâ ne cache pas sa profonde affection à l'égard des animaux, le souci qu'il a de leur réserver un destin dans le cadre du retour à Dieu de toutes les créatures. Nous le voyons proposer une analyse remarquable de l'âme animale, qui est, aussi bien, l'âme des hommes quand ils n'exercent pas leur puissance intellective. Le vivant animal reste identique à soi, il possède une individualité permanente en tous ses états. En outre, les bêtes ont une certaine conscience d'elles-mêmes. Elles fuient ce qui leur cause du déplaisir, et elles recherchent ce qui leur procure du plaisir, elles fuient les douleurs dont elles savent qu'elles sont pour elles une douleur, ce qui implique une certaine connaissance qu'elles ont d'elles-mêmes.

Or, qui dit connaissance ('ilm) dit nécessairement séparation d'avec la matière. En effet, la connaissance que l'animal a de son propre soi est permanente, et elle n'est pas acquise par les sens. Il s'agit d'un savoir immédiat, qui n'a besoin ni d'une preuve par une certaine pensée réflexive, ni d'un témoignage des sens. Cette connaissance antéprédicative de soi, cette présence à soi et à son acte individuel d'exister, l'animal n'en est pas privé. Il témoigne ainsi de l'immétarialité de ce soi."

"La connaissance n'est pas une réceptivité passive, mais une sorte d'investigation permanente, qui renforce le pouvoir central de l'intelligence. La psychologie se construit en l'horizon de la monarchie de l'âme. Il faudrait écrire l'histoire de cette politique monarchique de l'âme, à laquelle nous sommes devenus si étrangers depuis que Hegel a dessaisi la conscience de toute unité originaire. Peut-être est-elle encore à l'oeuvre dans la doctrine kantienne du sujet. En tout état de cause, elle régit le vocabulaire sadrien, influencé par le lexique polémique de Sohravardî et par les données de ces médecins et physiciens que, par ailleurs, il critique. L'âme est libre parce qu'elle est, en son fond, souveraine, et la saisie du monde extérieur est un espionnage attentif, une paranoïa instructive, par laquelle le prince intérieur se maintient au pouvoir."

"Le désir naturel d'exister, la nostalgie de l'éternité sont la preuve de la naissance de l'âme à l'autre monde et à la résurrection. La haine de la mort est signe de l'immortalité, et la mort du corps, loin de sceller la destinée, accomplit le désir d'immortalité, puisque le corps naturel contredit ce désir. Le nihilisme est méconnaissance de la nature de l'âme, oubli de soi et de son désir. Quand l'âme se rend immortelle, elle ne cède pas sur son désir."



"L'imagination est le premier miroir du monde, elle s'étend aussi loin que l'âme elle-même, elle peuple l'âme de ses formes. Sans doute ne produit-elle rien de neuf, puisqu'elle emprunte au sensible, mais elle épiphanise les formes dans une forme dimensionnelle, imparfaite, mais révélatrice. C'est cela que Sadrâ retiendra de la réflexion avicennienne."

"Le monde imaginal n'est pas un monde symbolique, un monde d'expressions reliées à des archétypes ou des représentations. C'est une région peuplée de corps dont la matière est la forme adéquate aux projections du désir de l'âme. Incorporation de la finalité de chaque désir, le corps imaginal est la présence de la jouissance. Tandis que le corps naturel est, pour moi, obstacle à mon désir, qu'il me sépare de moi-même et de la jouissance, le corps imaginal est union, conjonction, totalité. Toute jouissance est imaginaire, et la jouissance réelle exige donc un lieu où l'imagination devienne réelle, miroir réel de corps imaginaux."

"Pour conclure, j'aimerais citer une phrase de Proust, aussi fidèle au tempo de la mélodie intérieure qu'elle est proche de ce que Sadrâ nous dit de la sensation d'outremonde :

"Tout à coup je m'endormais, je tombais dans ce sommeil lourd où se dévoilent pour nous le retour à la jeunesse, la reprise des années passées, des sentiments perdus, la désincarnation, la transmigration des âmes, l'évocation des morts, les illusions de la folie, la régression vers les règnes les plus élémentaires de la nature (car on dit que nous voyons souvent des animaux en rêve, mais on oublie que presque toujours nous y sommes nous-mêmes un animal privé de cette raison qui projette sur les choses une clarté de certitude ; nous n'y offrons au contraire au spectacle de la vie qu'une vision douteuse et à chaque minute anéantie par l'oubli, la réalité précédente s'évanouissant devant celle qui lui succède, comme une projection de lanterne magique devant la suivante quand on a changé le verre), tous ces mystères que nous croyons ne pas connaître et auxquels nous sommes en réalité initiés presque toutes les nuits ainsi qu'à l'autre grand mytère de l'anéantissement et de la résurrection."
(A l'ombre des jeunes filles en fleurs).
L'Acte d'être : La Philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ

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