vendredi, avril 17, 2009

Zakho-Levo-Mergasur-Pireke

Le centre Lalesh nous trouve donc obligeamment un taxi qui négocie un prix honnête pour Zakho : 25 000 dinars. Arrivée à l'évêché où on attend le Mar de ces lieux, en déplacement dans un village avec ses invités. Le bâtiment avait subi un incendie il y a quelques mois, mais on n'en trouve pas trace. On y retrouve le même confort un peu cossu, un peu ostentatoire (à l'image de ce qui correspond au « chic » vu du Kurdistan).

Patros finit par arriver, nous embrasse et nous entraîne tout de suite déjeuner en nous assurant que « nous » devons sûrement avoir très faim. De fait, sa table est toujours aussi bien garnie, et il nous est tout de suite proposé une bière car il n'est jamais question de dire le benedicite pour un repas arrosé d'eau claire. Après tout, le premier miracle de Notre-Seigneur ne fut-il pas de changer l'eau en vin ? Bref, s'attabler d'un évêché à l'autre, c'est passer de la table d'Epicure à celle de Lucullus. Mais comme il me manquait déjà, le murshid de Kwane... autant se réconforter avec ce qu'on a dans son verre et sursum corda !

L'après-midi, on disparaît deux heures dans un Internet café commencer à bloguer sur les premiers jours à Ankawa. Il y a déjà pas mal de retard pris au jour le jour et en raison des pannes de courant qui nous obligeront à économiser la batterie du portable pour les photos de Roxane, plus les endroits sans Internet (et souvent les deux cumulés), ce retard ne va cesser de s'accentuer tout le mois.

Le soir, au dîner, les hôtes du Matran de Zakho nous ont été présentés : trois prêtres autrichiens, venus pour Missio Austria, s'occuper des chrétiens réfugiés à Zakho. Plutôt pas méchants, voire sympathiques, peut-être un peu étonnés de notre présence ici, s'enquérant un peu de ce que l'on fait ici, et de notre parcours, ce qui ne fait pas baisser leur étonnement. Il y en a même un qui, me questionnant sur mon curriculum vitae et mes aptitudes dans la vie, avait l'air de parler à une extra-terrestre. Je me demande vraiment pourquoi. En tout cas, eux non plus ne calent pas sur la bibine, pas plus que leur interprète-accompagnateur. C'est à croire qu'il y a, présentement, UN seul chrétien sobre au Kurdistan. Comme ils avaient amené de je ne sais où une bouteille d'Ouzo ça nous a permis, à Roxane et moi, d'en regoûter après des années et de faire de savantes et consciencieuses comparaisons avec le raki. Verdict : c'est pareil.


Eglise de Levo

Le lendemain, fraîches et disposes (l'un des Autrichiens était un peu vaseux au petit-déj' et la tourista n'en était peut-être pas la cause) nous partons avec Patros pour le village de Levo, célébrer une messe en l'honneur de la fête de Levo (qui doit être un saint chaldéen), laquelle est aussi la fête des villages voisins de Mergasur et de Pireke. Donc les habitants des deux derniers villages sont venus aussi en car, assister à la messe et banqueter en plein air. La messe fut courte et sans accrocs, car, comme il n'y avait pas de communion et comme Patros ne bouge pas de l'autel, Roxane n'a pu bloquer personne. Après le repas, où tout le monde circule et se sert, mangeant debout, sur les tables chargées de plats installées sur la place, nous retrouvons Patros qui nous rembarque dans son 4/4, direction les villages de Mergasur et de Pireke, qui n'ont pas eu la messe mais auront au moins une visite de courtoisie de la part de leur évêque.




Les visites avec Patros se déroulent invariablement de la même façon : tout le monde descend de voiture, il va s'installer avec les notables entre une tasse de thé et même de l'herbe (oui, au Kurdistan il y a des herbes bonnes à manger dont on mâchonne les tiges, un peu comme un panda se régalant d'un bosquet de bambous, ce qui fait qu'un étranger de passage, ne connaissant pas la table de l'évêché, se dirait, de loin, qu'un évêque kurdistanî ça ne coûte pas cher à nourrir : juste un peu de fourrage suffit).



Nous, après de rapides salutations, partons nous promener, les appareils en main (Roxane) et le sac photo sur l'épaule (moi, qui sers en plus de distributeurs à clopes et à bouteilles d'eau) Quant à la tête, pour écrire, elle fonctionne toute seule en marchant, pas besoin de bloc-notes). Après une heure, voire plus, nous revenons vers Patros et les notables, resalutations, rebonjour, je goûte même de l'herbe à évêque, et puis on repart vers un autre village, jusqu'au soir, saoules de verdure, de soleil, de vent, de fleurs. C'est la belle saison du zozan à Zakho, nous avons même rencontré des nomades et leurs troupeaux.



Le soir, Patros reçoit ses visiteurs et nous flânons dans l'évêché. Passant devant la porte ouverte de son bureau, nous voyons deux prêtres chaldéens et, pour une fois curieuse des gens, je tourne la tête tout en avançant, pour voir qui c'est, et je me retrouve soudain à me prendre les pieds dans les cages des perdrix que Patros élève, et qui sont alignées contre le mur du couloir, juste en face de son bureau, avec leur eau, leurs graines et leur lait. Me voilà à plat ventre, étalée entre deux cages de volatiles, lesquels gloussent d'effarement... Roxane est morte de rire, moi aussi d'ailleurs, et dans le bureau règne un silence de mort, ni Patros ni les deux visiteurs ne voulant avoir l'air d'avoir entendu quelque chose (en gros, ils devaient faire la tête de Rabban quand Roxane lui bloque sa messe). Pour finir, le jeune chrétien qui sert d'intendance à l'évêché accourt aussi et tout aussi plié de rire, me fait signe qu'il va réparer les dégâts. Quant à moi, je sors sur les marches du perron pour m'éclater à mon aise en me disant que les conseils du Matran d'Amadiyya sur le devoir de « regarder » les gens, il valait mieux que je les oublie. Dès que, dans la vie, je regarde autre chose que mes pieds, c'est tout de suite, autour de moi, le carnage et la dévastation. On va décider que pour garder intact le Kurdistan (en tout cas ses évêchés) je vais repasser en mode absent dans le Na-Koja-Abad, c'est moins dangereux...

Le lendemain, nous devons repartir pour Duhok, afin de régler rapidement (croyions-nous) cette histoire de visa à prolonger.

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