vendredi, janvier 30, 2009

IRAK : TENSIONS ENTRE ERBIL ET BAGDAD SUR FOND DE CAMPAGNE ELECTORALE


Les tensions entre le Gouvernement régional kurde et le gouvernement central de Bagdad ne se sont apaisées alors que l’échéance des élections locales approchait dans 14 districts du pays (hormis Kirkouk et la Région kurde). L’Irak accuse les Kurdes de menées « sécessionnistes » tandis qu’Erbil voit d’un mauvais œil les tentatives du Premier ministre Al-Maliki de concentrer les pouvoirs entre ses mains, ce que les Kurdes interprètent comme un retour en arrière, vers les anciens régimes autoritaires et nationalistes qu’a connus l’Irak.
Dans une lettre ouverte très critique adressée à Nouri Al-Maliki, le président Barzani constate que « malheureusement, il existe, dans les milieux arabes, des chauvins à la vue courte et des extrémistes. » Sans les nommer précisément, Massoud Barzani leur impute la dégradation des rapports entre Kurdes et Arabes, et le réveil « d’inimitiés dommageables, en ravivant les blessures du passé. » L’une des actions les plus critiquées est la création dans les provinces de milices tribales, soutenues par le gouvernement central et n’ayant pas de comptes à rendre aux autorités locales, ce que les partisans du fédéralisme en Irak voient comme un signe de reprise en main des politiques régionales de décentralisation et une tentative d’instaurer un pouvoir personnel, même si les partisans du Premier ministre nient toute dérive dictatoriale, imputant ces accusations à des manœuvres électorales et soulignent la volonté de Nouri Al-Maliki d’instaurer un Etat de droit qui mettrait fin aux conflits sectaires.

Les Kurdes ne sont pas les seuls à critiquer la nouvelle politique plus autoritaire du Premier Ministre. D’autres voix irakiennes se font entendre, reprenant les accusations de dérives dictatoriales, même au sein de son propre bloc parlementaire, l’Alliance de l’Irak uni, ainsi, bien sûr, que parmi les Arabes sunnites, toujours peu enclins à admettre la suprématie politique nouvelle de leurs compatriotes chiites. « Maliki a agi de façon unilatérale ces derniers mois, sur beaucoup de points décisifs » accuse Abdul Karim al-Samary, le leader du mouvement sunnite, le Front de l’Entente irakienne. La rumeur a même couru d’une tentative d’évincer Maliki de son siège de Premier Ministre, avant l’échéance de son mandat, en 2010, par un vote de défiance du Parlement. Cette rumeur, niée finalement par le Conseil suprême de la Révolution islamique en Irak (CSRII) un parti chiite, avait déjà été évoquée comme une possible riposte du Parlement contre le gouvernement par le député kurde Mahmoud Othman, dans une interview donnée au site Rudaw : « Les Kurdes ont des alliés : le Conseil suprême islamique irakien est encore plus mécontent de Maliki que nous, et le Parti islamique irakien est en désaccord avec lui. Si ces factions se rassemblent pour débattre de certains sujets, elles pourraient aboutir à quelque chose. »

Cependant, pour Mahmoud Othman, il n’est pas encore temps d’adopter une solution aussi extrême, « mais cela dépend du comportement du gouvernement. Si les conflits sont résolus, le mécontentement n'atteindra pas un tel degré ; dans le cas contraire, cela serait possible. » La source du conflit entre Nouri Al-Maliki et le Gouvernement kurde, vient, selon le député, des erreurs et des insuffisances de l’administration irakienne et de l’administration kurde, ainsi que d’une idéologie nationaliste arabe persistante : « Les conflits sont de nature politique, juridique et administratif. Les conflits administratifs et juridiques viennent de ce que le système fédéral est nouveau en Irak. Ni le gouvernement irakien, ni nous-mêmes avons eu une expérience de ce système auparavant. Si bien que nous commettons des erreurs, des deux côtés. En ce qui concerne les aspects politiques, et aussi idéologiques, il y a deux autres problèmes qui viennent s'ajouter : le premier est que le gouvernement irakien ne croit pas au fédéralisme. Avez-vous jamais entendu Nouri Al-Maliki, le Premier Ministre, dire "Irak fédéral" ? Ce sont seulement les Kurdes qui utilisent ce terme. Maliki dit que la constitution doit être amendée, l'autorité du gouvernement central consolidée, l'autorité de la Région du Kurdistan réduite et que les forces des Peshmergas doivent se retirer de la ligne bleue (zones qui étaient sous le contrôle de la Région du Kurdistan avant le 19 mars 2003). Il dit que le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) n'est pas autorisé à signer des contrats pétroliers de son propre chef. Tous ces points indiquent un refus du fédéralisme : Constitutionnellement, le GRK a de telles prérogatives. Le second problème est qu'il y a une idéologie chauvine arabe qui pense que la constitution a été rédigée alors que le gouvernement irakien était faible et le pays instable, et que la Région du Kurdistan a obtenu de la sorte de tels acquis, mais que peu à peu, l'équilibre doit être rétabli en affaiblissant l'autorité de la Région et en consolidant le gouvernement central. »

Le 14 janvier, une interview du président Barzanî au Los Angeles Times, publiée à la fois dans sa version résumée ainsi que dans l’intégralité de l’enregistrement avait suscitée de vives réactions de la part de plusieurs journaux et groupes politiques arabes, accusant, une fois de plus, le président kurde de brandir la menace d’une déclaration d’indépendance s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait. Massoud Barzani retraçait aussi les relations passées qu’avaient eu les Kurdes avec Nouri Al-Maliki, au temps de l’exil, et le soutien que le chiite avait reçu des Kurdes, ainsi qu’en 2007 quand le Gouvernement kurde s’est opposé à une tentative de renversement du Premier ministre : « C'était en avril 2007. Quand nous avons senti qu'il y avait de sérieuses tentatives pour lui faire quitter sa place. Nous avons senti cela, et aussi que ce qui se cachait derrière tout cela n'était pas bien intentionné. Il y avait certaines personnes, malintentionnées, avec un ordre du jour malintentionné. Ce n'était pas pour le bien de l'Irak en général ni pour celui des Kurdes en particulier. Vers la fin d'avril 2007, le 26 ou le 27, il y a eu réunion de plusieurs groupes irakiens, sous les auspices de plusieurs services secrets étrangers des pays de la région, Egypte, Jordanie, Arabie saoudite, Turquie et les Emirats. Je crois qu'ils étaient six pays au total, à avoir organisé cette réunion de plusieurs groupes irakiens et l'idée principale en était de saper la situation, et nous nous sommes alarmés de cela. C'est pourquoi nous avons entièrement soutenu la position de Maliki parce que nous sentions que c''était d'abord et avant tout dirigé contre l'Irak. C'était une intervention très directe et très funeste dans les affaires irakiennes via les services secrets de ces pays. Nous nous sommes alarmés de cela et nous avons soutenu ouvertement le Premier Ministre. Nous sentions que tout était dirigé contre le peuple irakien, contre l'Irak et contre le peuple kurde. Cela a amené cette coalition de quatre partis, plus tard étendue à cinq [un comité consultatif regroupant Barzani, les membres du Conseil de présidence de l'Irak et le premier ministre Al-Maliki]. » En plus de Kirkouk, les désaccords portent toujours sur la gestion des ressources en hydrocarbures, que Bagdad voudrait contrôler, notamment dans la signature des contrats passés avec les sociétés étrangères, ainsi que la marginalisation, selon les Kurdes, de leurs unités au sein de l’armée irakienne, s’accompagnant d’une tentative du chef du gouvernement d’user des forces militaires comme d’une milice personnelle : « Dans des circonstances normales, il est tout naturel de muter et déplacer des officiers et des unités différentes dans les différentes parties du pays. Evidemment, si l'on considère la situation en Irak, on voit que ce n'est pas une situation normale. Pour le moment, la situation est anormale. Et à des périodes plus récentes, nous avons pu constater une attitude délibérée pour marginaliser la participation kurde [dans l'armée]. Et il nous a semblé assister à une tentative unilatérale de créer une armée qui ne dépendrait plus que d'un seul individu, ce qui est encore plus alarmant. Avant tout, et par-dessus tout, les militaires ne doivent pas être impliqués dans la politique. De plus, les militaires ne devraient pas être utilisés pour régler les conflits internes entre ce groupe-ci et ce groupe-là. Je crois qu'il y a actuellement 16 divisions dans l'armée irakienne. Normalement, les généraux de divisions doivent être nommés et agréés par le Parlement. Mais je mets au défi quiconque de trouver un seul général de division dont la nomination a été faite et agréée par le Parlement. Elles ont été approuvées par des décisions personnelles [décrets], et bien sûr c'est quelque chose qui n'est pas tolérable. Ce n'est pas l'armée … que nous espérions créer. »

Cette suspicion kurde est renforcée par le déploiement de troupes irakiennes dans les régions à peuplement kurde revendiquées par le gouvernement d’Erbil, notamment Kirkouk et Khanaqin. Les Peshmergas kurdes, initialement déployés dans ces régions pour y assurer la sécurité, à la demande des USA et de l’Irak, font état de mouvements de troupes « anormaux » depuis l’été. Ainsi, la 12ème division de l’armée irakienne a été chargée de former une ceinture militaire autour de Kirkouk, qui, se rapprochant aussi de la Région du Kurdistan, a pour effet de freiner la circulation entre Kirkouk et les deux grandes villes kurdes, Erbil et Suleïmanieh alors que jusqu’ici, les contrôles Suleïmanieh-Kirkouk-Erbil, assurés par les Peshmergas, permettaient une circulation assez aisée entre les trois régions. Selon le journal kurde Aso, reproduisant les propos d’un officier irakien s’exprimant de façon anonyme, « la Défense irakienne essaie d’établir des check-points rigoureux sur les voies d’entrée et de sortie de Kirkouk, afin de contrôler les frontières de la ville. » Le même officier indique que dans le futur, l’armée irakienne souhaite se déployer dans les districts orientaux de Kirkouk, comme Laylan, Qadirkaram, Takyay-Jabari, Shwan and Bani-Maqan, ainsi qu’au nord, à Dubiz et Pire. « Les mouvements de cette division ne sont pas normaux et il s’agit d’un agenda programmé », accuse Mustafa Chawrash, commandant les Peshmergas de l’UPK. « C’est pourquoi les dirigeants kurdes regardent cela avec suspicion. » Mustafa Chawrash a indiqué que les Peshmergas ont envoyé plusieurs messages aux troupes irakiennes pour les inciter à partir. Une commission a alors été créée, composée de représentants de la Région kurde, des forces américaines et de l’armée irakienne, mais elle n’a pu encore se réunir. Pour le moment, la 12ème division n’avance plus mais n’a pas non plus reculé et les Peshmergas campent également sur leurs positions. Cette division comprend 70% d’Arabes, 20% de Kurdes et 10% de Turkmènes pour un total de 9000 hommes. Selon Chawrash, son général, un Arabe de Hilla, est un ancien membre important du parti Baath de Saddam Hussein, qui a combattu les Kurdes, en dirigeant la même division. Il a été emprisonné quatre mois par les Américains avant de reprendre ses fonctions. Par contre, des officiers kurdes en poste dans cette même division ont été transférés de Kirkouk vers d’autres villes irakiennes, comme Tikrit et remplacés par des Arabes et des Turkmènes.

Kirkouk reste donc le point majeur où se cristallisent toutes les tensions ethniques du pays. Aussi la visite dans cette ville de Joe Biden, le vice-président américain, a été l’objet d’une grande attention de la part des observateurs irakiens et internationaux. Le discours du responsable américain est cependant resté dans le vague, Joe Biden appelant à une « coopération » entre les groupes religieux et ethniques du pays, après avoir rencontré plusieurs leaders locaux, en parlant de « compromis » et de « concessions nécessaires » pour que l’Irak règle ses conflits internes. Alors qu’il était encore dans l’opposition, le sénateur Joe Biden avait été pourtant l’auteur d’un plan approuvé par le Sénat américain en septembre 2007, qui recommandait la division de l’Irak en trois grandes régions semi-autonomes : Kurde, sunnite et chiite. Mais ce plan avait été repoussé par la Maison blanche. Quant à la Turquie, elle a continué d’émettre des mises en garde contre des décisions trop hâtives concernant le statut de Kirkouk, en invoquant les violences interethniques que cela induirait.
Quoiqu’il en soit, même si les élections dans cette ville ont été reportées, plusieurs meurtres de militants ou de responsables politiques ont eu lieu, principalement à Kirkouk comme à Khanaqin, alors en pleine campagne électorale. Le 4 janvier, à Kirkouk, Anwar Moheddin Rassoul, un membre du Parti communiste du Kurdistan a été tué par des inconnus armés qui ont ouvert le feu sur lui. L’assassinat s’est produit au domicile de la victime, dont le corps présentait également des traces de coups. Ce n’est pas le premier assassinat qui a frappé ce parti puisque le 18 décembre dernier, Nahla Hussein Al-Shaly, membre de la Ligue des femmes au sein de ce même parti, avait été aussi assassinée à son domicile par des inconnus. Deux jours plus tard, un autre politicien kurde, Subhi Hassan, membre de l’UPK, le parti de Jalal Talabani, était abattu par balles dans sa voiture avec son garde du corps, après avoir été pris en chasse par un autre véhicule. Le 8 janvier, c’était au tour d’Abdelrazeq Mohsen Ulwî, 34 ans, d’être abattu à l’arme à feu, cette fois dans la région de Khanaqin, alors qu’il se promenait au marché d’Al-Saadiya. La victime était le frère de Nossaïr Ulwî, qui dirige la section du Parti communiste du Kurdistan d’Al-Saadiya. Les deux frères avaient déjà reçu des menaces de mort à plusieurs reprises.

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