vendredi, mai 26, 2006

Qui a tué le cheikh Machouk ?





Un an après la mort du Cheikh Maachouk al-Khaznawî, l'affaire reste toujours mystérieuse et en tous cas non élucidée. Mais le sera-t-elle jamais ?


Le 10 mai 2005, le Cheikh Khaznawi reçoit un appel de personnes prétendant avoir un vieux père malade et le réclamant à son chevet. Pouvait-il se rendre chez eux pour petit-déjeuner le matin ? Il semble que le Cheikh était sceptique sur cette histoire. Selon ses fils, il aurait même dit : "Quand les forces de sécurité cesseront-elles de me harceler ?" mais il accepta tout de même de s'y rendre (comme pour Ghassemlou, comme pour Sherefkandi, cette manie des leaders kurdes de se rendre "quand même" à un rendez-vous avec leurs assassins...). On ne devait plus le revoir vivant, après qu'il ait prévenu : "Je serai de retour dans deux heures."

Pourtant, presque un mois après sa disparition, un officiel du gouvernement avait déclaré à ses fils qu'ils auraient bientôt de bonnes nouvelles concernant leur père. Mais au lieu de cela, le 1er juin 2005, on retrouva son corps à Deir ez Zor, à l'est de la Syrie. Des agents de sécurité les amenèrent auprès du corps "retrouvé" du Cheikh Machouk. Barbe coupée, dents cassées, traces de brûlure, une blessure au front, visiblement le Cheikh a été torturé.

Les Forces syriennes disent avoir cinq suspect dont deux qui ont confessé ce meurtre, et la télévision syrienne diffusa même leur "aveu" : "Nous avons tué le Cheikh Khaznawi parce qu'il s'était éloigné du chemin religieux de ses pères, et lui nuisait par ses apparitions sur les chaînes satellite". Les meurtriers supposés disent avoir enlevé et drogué le Cheikh, l'avoir conduit à Alep, où le propre chauffeur du frère aîné de la victime l'aurait étouffé avec un oreiller. Cette version est appuyée par Khalid Hammud, le juge chargé de l'enquête à Damas, qui affirme que le corps ne présentait pas de traces de violence physique et que donc la mort la plus probable est l'asphyxie. Ce serait donc, du point de vue de l'Etat, un règlement de compte familial sur fond religieux.

Mais
la famille de la victime conteste cette version et l'absence de torture. Elle pointe aussi l'attitude étrange de la police dans les jours qui suivirent la disparition. Ainsi quand ils demandèrent la liste des derniers appels téléphoniques qu'il aurait reçu sur son portable, - "une procédure qui prend 5 minutes selon les proches, et ne coûte d'un dollar" -, les communications syriennes leur répondirent qu'il fallait pour cela une autorisation prélable des services de sécurité.

De plus, toujours selon les fils de la victime, un médecin travaillant à l'hôpital militaire de Tishrin, à Damas, aurait affirmé avoir vu le 27 mai le Cheikh dans une chambre de cet hôpital, surveillé par des agents syriens, et présentant des signes de torture. Son état de santé était très critique et il semblait inconscient. On l'aurait traité aux antibiotiques en plus d'autres soins, et transféré 15 heures plus tard vers une destination inconnue. On devait donc retrouver son corps à Deir ez-Zor, à l'autre bout de la Syrie.

Dans une interview à al-Jazeera, Islam Dari, le rédacteur en chef du journal Tishrin, contrôlé par le gouvernement syrien, soutient cependant la thèse d'un règlement de compte familial : "Ce n'était pas dans l'intérêt de la Syrie d'arrêter le Cheikh Khaznawi pour plusieurs raisons. D'abord, c'était un religieux. Ensuite il est Kurde et n'a rien àvoir avec la politique." Islam Dari évoqua des problèmes financiers (pour une question d'héritage) entre le Cheikh et son frère comme un possible motif de meurtre.

Mais les fils du Cheikh nient cette explication : "L'affaire était depuis longtemps terminée. Nous visions dans une ville, [notre oncle] dans une autre. Notre père avait cessé de réclamer l'héritage."

Etrangement, deux des trois principaux suspects sont morts, peu après le meurtre, de façon "accidentelle". Sa'id Hadeela dans un accident de voiture et Abd-al-Razzaq dans un accident de train-voiture, enfin il aurait eu la mauvaise idée de garer sa voiture sur une voie ferrée et de rester dedans. Un témoin de l'accident affirme cependant que le corps ne présentait aucun traumatisme ni choc étant donné que le train n'a pas touché le siège du conducteur. L'émotion a dû le tuer... Selon plusieurs sources kurdes, quand les autorités ont finalement voulu exhumer le corps pour enquête, le cercueil était vide. Pure distraction, sans doute.

Le Cheikh Mohammad Maachouk al-Khaznawî appartenait à une lignée de cheikhs kurdes naqshbandi. Il était le fils du cheikh Azzedîn Khaznawî et le petit-fils du cheikh Ahmad Khaznewî, auteur d'une énorme exégèse du poète kurde Meleyê Cizirî. Il fit ses études secondaires à Tell Maarouf et à Qamichlo, puis des études de théologie dans différentes universités du Moyen-Orient. Il revint en Syrie pour y assumer les fonctions d'imam à la mosquée d'Edleb près d'Alep jusqu'en 1992, date à laquelle il revint dans sa région natale et prit le poste d'imam à Qamichlo, jusqu'à son assassinat.

Le Cheikh dirigeait le Centre de recherche des Etudes islamiques de Qamichlo et était aussi directeur-adjoint de ce même centre à Damas. Il était aussi membre de la fondation Jérusalem à Beyrouth et du Comité de dialogue entre musulmans et chrétiens à Damas. A ce titre il avait été invité par le ministre des Affaires étrangères de Norvège à un congrès sur l'islam. Durant tout son exercice, le Cheikh n'a cessé de défendre sa vision de l'islam, en insistant sur la tolérance et le progrès. Il condamnait sans ambiguïté les actes terroristes commis au nom de sa religion. Par ailleurs, il exprima sans cesse son attachement à la cause kurde et dénonçait le sort réservé aux Kurdes sans papier en Syrie, dont une grande partie vit autour de Qamishlo, où il exerçait. Il chercha aussi à resserrer les liens entre les partis kurdes de Syrie, en insistant sur la nécessité pour ces partis de s'unir afin d'exercer une plus grande influence sur le gouvernement syrien.

Lors du Newroz sanglant de mars 2004, il eut pour souci principal d'éviter les effusions de sang et organisa des rencontres entre des représentants de partis kurdes et du gouvernement syrien. Le gouvernement syrien lui-même, quelque peu débordé par la tournure des événements, lui avait demandé de servir de médiateur à Qamishli afin d'apaiser les tensions. Mais cela ne l'empêcha pas de soutenir aussi les revendications des Kurdes, même s'il privilégiait pour cela une solution politique pacifique. Quand 312 détenus kurdes furent libérés un an plus tard, en mars 2005, il se trouvait là pour les accueillir, avec des leaders politiques kurdes. Et commémorant l'anniversaire du soulèvement de 2004, un an avant sa propre disparition, il se montra ouvertement critique envers le régime syrien et l'absence de droits accordés aux Kurdes. Il avait invité également plusieurs représentations diplomatiques occidentales à Qamichlo pour les sensibiliser au sort des Kurdes. "Le Cheikh était un symbole pour le peuple kurde et il voulait qu'ils s'unissent tous en un combat pacifique", avait déclaré Hassan Saleh, le Secrétaire général du parti kurde Yekitî.

Etait-ce cet activisme qui finissait par devenir gênant pour le régime baathiste ? Selon ses proches et plusieurs autres témoignagnes, le Cheikh avait été "averti" à plusieurs reprises par les services secrets syriens que ce qu'il faisait était "dangereux" pour lui. Depuis des mois en effet, les services syriens serraient de près le soufi, à tel point que le Cheikh devait appeler ses fils toutes les heures pour les assurer qu'il n'était pas arrêté. Un mois avant sa mort, il avait déclaré dans une interview téléphonique à un journal canadien, que ce régime devait changer ou disparaître, en faisant allusion à la volonté des Américains de se débarrasser des dictateurs de la région. Des officiers des services secrets politiques se réunirent à Qamachlo pour discuter du cas de ce Cheikh. "Ils ont écrit un rapport disant que le Cheikh était devenu une source de problèmes et qu'il fallait se débarrasser de lui." dit le cheikh Murshîd, son fils.

Autre point terriblement sensible dans le dossier du Cheikh, sa rencontre en février 2005, à Bruxelles, avec le leader en exil des Frères musulmans, Ali Sadreddin Bayanouni, une des bêtes noires de la Syrie après la tentative de soulèvement des islamistes en 1982. Cette rencontre ne pouvait rester impunie de la part des baathistes. De plus, cette alliance pouvait être dangereuse. Alors que l'opposition kurde peine toujours à faire admettre ses droits à l'opposition arabe syrienne, peu après le retour de Khaznawi en Syrie, les frères Musulmans avaient émis un communiqué sans précédent où ils reconnaissaient le besoin de trouver une solution au problème kurde, une étape qui avait été accueillie comme une victoire dans beaucoup de milieux kurdes.


Selon certains analystes, cette mort est aussi intervenue dans un climat de durcissement et de paranoïa envers les mouvements politiques kurdes. La stabilité de la Syrie est entre les mains des Kurdes," n'hésite pas à écrire Ibrahim Hamidi, dans al-Hayat. "Ils occupent une position unique. Ils sont organisés, ils ont une identité islamique, un soutien régional de la part des Kurdes de Turquie, d'Irak et d'Iran, et un soutien international de lobbies européens, ainsi qu'un statut politique en Irak." De fait l'émergence d'un Etat kurde de facto en Irak, principal allié des Américains n'a pas peu contribué à une certaine psychose concernant une cinquième colonne kurde pro-US infiltrant voire envahissant la Syrie... Ce genre de rumeur fit ainsi florès lors du serhildan de 2004.


Mais le Cheikh Machouk avait d'autres ennemis : les islamistes sunnites qui n'appréciaient guère ses prises de position en faveur d'un islam modéré, démocratique et réformiste. Ils n'appréciaient pas non plus sa condamnation ouverte des attentats-suicide en Irak, que lui n'a jamais qualifié de "martyres", et au sujet desquels les instances religieuses musulmanes sunnites n'opposent pas grande protestation encore aujourd'hui. Mohammed Habash, le directeur du Centre des Etudes islamiques de Damas, centre militant pour un islam moderne et modéré, soutient contre la famille du défunt, la thèse d'un meurtre par les islamistes et ne croit pas à la main du gouvernement syrien derrière ce meurtre :

"Ils m'ont averti plusieurs fois, ainsi que Khaznawi, que nous jouions avec le feu (...) Je pense qu'il y a un plan très clair des fondamentalistes pour combattre le renouveau de l'islam." Les deux dignitaires religieux étaient effectivement dans le collimateur des extrémistes ou des réactionnaires musulmans, qui les appelaient kafirs (mécréants), infidèles, et autres gracieusetés : "Nous étions dans le même combat contre l'obscurantisme et la corruption dans la religion."

Habash a signé ainsi une déclaration niant la culpabilité du gouvernement syrien dans ce meurtre, ce que les fils du Cheikh imputent à une volonté de blanchir le régime :"Il disait toujours : "si quelque chose m'arrive, cela viendra des autorités" a ainsi déclaré le cheikh Murad Khaznawi.

Par ailleurs, dans les milieux islamistes, les soufis n'ont jamais été très bien vus en général, mais ce Cheikh avait tout pour donner des cauchemars aux réactionnaires, même à l'intérieur de sa propre tariqat. Le charisme et la domination intellectuelle du cheikh sont exaltés dans la plupart des mouvements soufis. Le cheikh est vu comme le seuil qui mène à la vision d'Allah, aussi l'obéissance et le dévouement absolus du murîd (disciple) envers le murshîd (maître) sont généralement requis. Tout au contraire, le cheikh Machouk prêchait la liberté et la responsabilité individuelles, plutôt qu'une obéissance aveugle envers un leader. "Le Cheikh avait l'habitude de parler contre la majorité des usages soufis. Il disait que c'était comme une drogue pour l'esprit" explique son fils Murad.

"Il pensait que chacun devait exprimer son opinion alors que les autres cheikhs demandent silence et obéissance," explique Hassan Salih. "Les autres cheikhs demandent à ce qu'on baise leur main. Il refusait une telle pratique."

Loin d'être un malamatî (un adepte de la Voie du Blâme) cependant, ce père de seize enfants, fils, petit-fils, arrière-petit-fils de distingués naqshbandi, offrait une apparence impeccable, dans sa robe grise, son turban blanc et sa longue barbe. Mais il alliait, sembla-t-il, cette respectabilité irréprochable à un solide sens de l'humour, et n'hésitait pas à rompre avec certains comportements excessivement bigots ou scrupuleux, tel que le refus des soufis de serrer la main des femmes (ce contact étant sensé les rendre impurs pour la prière). Il combattait aussi les inégalités de statut entre les sexes dans la Sunna, par exemple le fait qu'un témoignage masculin vaille le double d'un témoignage féminin au tribunal, et prônait la séparation du religieux et du politique dans les affaires de l'Etat. Ses activités politiques semblaient gêner autant que ses opinions religieuses. La Syrie lui a refusé durant des années de voyager, mais ses livres sur l'islam ont aussi été interdits et il fut empêché de khutba (sermon du vendredi).

Il est donc très difficile de séparer son activisme kurde avec son activité religieuse, et il semble que cette conjonction ait dérangé la Syrie. Ainsi, lors de la commémoration de l'assassinat sous la torture d'un autre opposant kurde, Farhad Muhammad Ali, Khaznawi avait condamné publiquement la Syrie et comparé la mort de cet opposant avec celle d'un compagnon du Prophète, mort lui aussi sous la torture pour avoir refusé d'insulter Muhammad. Selon Ibrahim Youseff, un militant kurde ami de la victime, après ce discours, il aurait été menacé par les services syriens, pour avoir "franchi la ligne rouge et déclaré le Djihad contre le pays". L'alliance de la parole politique et de la morale religieuse semble avoir inquiété les Syriens. Après tout, dans le passé kurde, les plus grandes révoltes ont souvent été menées par les cheikhs...

Le Cheikh avait coutume de dire : "Si leur islam ne veut pas accueillir des Kurdes au paradis, alors je n'irais pas non plus dans ce paradis, et je resterais avec le peuple kurde." Peut-être cette voix kurde dérangeait-elle à la fois le nationalisme arabe et l'islam rigoriste.

Source :
Syrian comment.
Christian Science Monitor
Al-Jazeera.net
Syrian Human Rights Committee

1 commentaire:

  1. Anonyme5:20 PM

    hi i wish i know french but do u know english ,almost yes , in yahoo messnger i pm ur id but theres no answer from u< i wish to introduce u to more people whom are study kurdish

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