mercredi, mars 01, 2006

Les derviches tourneurs, les tesbis et le kurde

Lundi, partant en quête d'un tesbi (oui ça me prend comme ça, j'avais cassé le mien il y a des lustres) je me dirige naturellement vers le Centre culturel Anatolia, d'abord parce que c'est pas loin, et ensuite parce que des Turcs j'attends des renseignements rapides et immédiatement utilisables pour savoir où trouver des tesbis, sachant que demander à des Kurdes c'est courir à 80% le risque de s'entendre répondre après une conférence au sommet et discussion vive sur les endroits où en trouver (et surtout ne pas en trouver) : "Ah mais attends je t'en ramènerai un quand je partirai au pays" ou "je vais demander à machin qui y va de demander à son cousin de..." Bref.

Et donc à Anatolia, réponse rapide, livret gratuit sur le Paris turc (édité par Western Union), et on m'indique en prime la librairie Mevleva rue de l'Echiquier : "Vous savez, c'est à côté et on appelle ce quartier la Petite Turquie." Oui, je sais bien, moitié Petite Turquie moitié petit PKK en fait, mais là je me la suis fermée parce que bon, je n'avais l'intention d'aller faire mes achats là-bas en clamant partout ma kurdistanité suspecte. C'est vrai quoi, faut se méfier avec les tesbis qu'on vous refile, si certains ont la baraka, ça peut vouloir dire que d'autres portent la poisse. Donc, pax, je me la ferme, la jouant presque "touriste de retour d'Istanbul et voulant faire remarquer sa nostalgie", et j'y vais.

Dans la librairie, mélange marrant de tesbis (y en plein, de toutes les couleurs, de tous les matériaux, plastique, fausses turquoises, faux argent, vrais noyaux de fruits) ; j'ai compté sournoisement les perles, toujours 33 ou 99, pas vu des 12 ni 24 ni 40 on n'est pas chez les Alévis, c'est sûr ; avec les tesbis, des rayons de livres tous religieux, mais en turc, quelques-uns en français enfin les poches les plus connus, Ibn Arabî, Rumî (un peu normal ici), et les Lings ; plus les porte-clefs contre le mauvais oeil, qui ressemblent à des globes oculaires énucléés,ce que j'ai toujours trouvé parfaitement gore, de ceux qu'on voit partout en Turquie, en épingle, en broche, en pendentif, en déco de seuil de porte ; plus des cassettes (arf !) des CD dont certains viennent nettement d'Asie centrale vu les têtes sur les pochettes ; et le portrait d'Atatürk et les vues de la Kaabah, et de la bimbeloterie un peu partout, et les fanions-drapeaux du Turkistan, du Tataristan et autre Touranistan-land (j'ai pas vu Kirkukistan, par contre, dommage, je l'aurais tout de suite pris).

Bref le temps de trifouiller tous les tesbis (important le choix, il n'y a pas que la couleur il faut que le matériau plaise aux doigts, que les grains coulent facile, qu'ils ne soient ni trop serrés ni trop lâches), il a dû s'écouler un bon quart d'heure. Quand je vois arriver le libraire avec un plateau de thé et deux verres dessus (j'étais avec une Française qui découvrait tout ça) machinalement, sans réfléchir, je dis "tes,ekkür ederim" (j'aurais pu dire "spas", je me suis bien tenue au final). Du coup le type me lance une grande phrase bien longue en turc en me montrant la table du fond avec les chaises autour, le coin des clients quoi. En me marrant je réponds "türkçe bilmyorum" pour rectifier le tir et aussitôt on me répond que ça ne fait rien du tout si je parle pas turc, qu'il faut venir s'assoir, et boire du thé, autant qu'on veut. Et nous voilà assis autour d'un thé (bouillant comme d'hab') et à répondre à des questions intriguées et souriantes : d'où je connais la librairie ? euh.. du centre Anatolia. Ah bon. Et je vais au centre Anatolia parce que je suis étudiante, pour apprendre la langue ? Euh, non non... (je vais quand même pas dire que c'est parce que c'est presque en face de l'Institut kurde, quoi !). Et je connais un peu le soufisme ? les mevlevi ? Oh ben oui, très bien. Et Kudsi Erguner j'ai entendu parler ? Aussi, vi. Et comme la musique du nay se faisait entendre (oui j'ai dit nay, pas flûte à voix haute, histoire de me faire encore plus remarquer) me voilà à expliquer à la française qui m'accompagnait le symbole du nay le roseau arraché de sa roselière, la nostalgie de l'âme soupirant après l'UN tout ça...

Du coup le libraire m'amène le sien et m'explique qu'il apprend à en jouer, et me le tend pour que je souffle dedans. J'étais sûre que c'était aussi dur d'en sortir un son que d'une trompette. Je me suis pas trompée. Même en m'explosant les poumons, rien. Dire que quelques secondes avant, il m'avait demandé en riant si j'étais derviche, là ça va j'ai dû être rassurante comme néophyte.

Puis il me dit qu'il est de Konya. Est-ce que je connais Konya ? euh de réputation. Si j'ai déjà été en Turquie ? Oui (et là il va me demander où j'en suis sûre, je le sens venir...). Où ça ? Euh... Istanbul. Ah, Istanbul. Et sinon ? Euh... Ankara, Kus,adasi, Kayseri (j'essayais de passer en revue tous les endroits convenables c'est-à-dire pas connotés kurdes où j'étais allée). Bon finalement, la seule chose qui l'intéressait c'est si je connaissais Konya, point. Et je suis étudiante ? (arf !). Non non (et il va me demander ce que je fais dans la vie et comment je connais tout ça...). "Et vous connaissez comment le soufisme ? "

Là je dois dire que j'avais envie de rire parce que je sentais ma réponse arriver. Après tout c'était drôle de pouvoir le dire franchement, m'étant assez retenue en Turquie. J'étais aussi curieuse de la réaction. Donc, avec mon air le plus angélique : "Ah mais j'en traduis des soufis." "Ah oui ? et vous avez traduit quoi ?" Battement de cils ARCHANGELIQUE : "Ahmedê Khanî." "Il penche la tête de côté pour mieux entendre : "Khanî ? " "Khanî." Un brin de réflexion (visiblement ça lui dit rien) puis : "Mais vous traduisez quelle langue ?" Là je me la joue bien dinde : "En français." "Oui... mais... de l'arabe ?"

Battement de cils CHERUBINIQUE : " Non, du kurde."

Glups. Il se fige, puis se penche sur moi, les yeux comme des soucoupes en me regardant de la tête aux pieds. Il n'y croit pas.

- Vous êtes Kurde ????
- Ah non, pas du tout. (l'air de dire : "Ben pourquoi cette question ?")

ça a l'air de méditer un brin. Puis deux autres Turcs entrent dans la librairie, et naturellement il va leur dire illico en turc que je parle kurde (les Kurdes aussi font ça, mais eux c'est pour s'en réjouir), là je sirote rêveusement mon thé en me demandant si je vais me faire éjectée de la boutique par l'esquadron du Touran offensé...

Et là j'entends en turc un truc du genre : "ah bon ? bah on est ami !" biz quelque chose, bizin, bizim ? et arkadash sûr. A mon tour d'avoir les yeux ronds (et l'air ahuri j'admets aussi). Ils ne sont pourtant pas Kurdes, de vrais Turcs, moyens-petits et costauds, trapus même, avec une bonne tête ronde de pastèques et un air de dur de la steppe. Enfin de durs très amicaux. Pas raides rougissant morts tout fondus aux pieds comme les Kurdes, mais gentils, raisonnablement. A chaque fois qu'un nouveau client entrait, ils lui apprenaient que je parlais kurde.

Bon, je finis mon thé en me disant que pourtant on m'avait dit qu'ils étaient bien nationalistes à Konya. Ou alors c'est qu'ils vont passer aux questions, ce que je pense du PKK, d'Öcalan, gna gna gna. Ben non, même pas. Sauf que le libraire me dit tout de suite qu'il doit s'absenter 15 minutes, (pendant que ses potes gardent la boutique) mais qu'il revient. Alors là, si j'avais été chez les PKK, je me serais dit "bon il va consulter sa hiérarchie qui va se mettre en réunion pour décider quelle attitude il convient d'adopter." Mais j'ignore si les partis pan-touranistes ou les soufis ont besoin d'une hiérarchie pour décider s'ils vous virent à coups de pompe dans l'arrière-train ou vous déroulent le tapis rouge. Bah, finissons notre thé, et je retourne choisir mes tesbihs, tout en reluquant du coin de l'oeil les deux remplaçants qui n'ont pas franchement l'air de m'en vouloir. D'ailleurs l'un d'eux, assis, me fait un sourire timide et radieux au passage (à moi et à ses chaussures en alternance). Non, décidément, ils n'ont pas l'air fâchés...

Et puis le libraire revient au bout d'une demi-heure (s'il avait été PKK j'aurais dit : la réunion est finie, mais là ce serait médire) en s'excusant d'avoir traîné. Je prends mon tesbi, paie, au revoir et là sourire aussi timide que son pote : "Il faut revenir, pour parler soufisme." Ben ouais. Et puis la prochaine je râlerais parce que jen'ai pas vu de "Mem et Zîn" en vente ici, tiens.

De tout cela, j'en concluerais que : soit les relations kurdo-turques sont en train de se réchauffer (ce qui à l'approche du Newroz ne semble pas flagrant), soit que les mevlevis sont larges d'esprit (très) ou que vivant dans leur barzakh ils n'ont jamais eu vent de la guerre, mais ça m'étonnerait beaucoup ; soit que, comme ça arrive souvent, ils décident souvent, comme les autres Turcs et les Kurdes de ne retenir que ce qui les arrange, en balayant totalement de leur cerveau les points gênants, du moment que la première impression était bonne.

Ou qu'ils veulent me faire revenir pour me faire parler :D (mode Mata Hari parano).

En attendant Mevlava est un endroit à recommander, même le thé est bon, on dirait du thé de contrebande !

1 commentaire:

  1. Anonyme1:07 PM

    slm..
    je vien de lire ce ke tu as ecrit et c passionnat tu a le don de l'ecrivain...ouvert d'esprit..c'est ce kil fo dans ce monde de brut !!!!
    c tres bien ecrit en parlant des tespi ( chose ke tous le monde ne peu pas en parler car des tespis reste des tespi enfin ke c pa gran chose pour en parler ...) toi tu parle de ca sans que sa ennuie le lecteur et en disan aussi tes sentiment et parlan d'autre chause qui "s'accorde" au tespi

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