lundi, décembre 05, 2005

La Question kurde en Syrie

Jeudi 1er décembre a eu lieu à l'Assemblée nationale une conférence internationale sur les Kurdes de Syrie. Jusqu'ici, plusieurs de ces conférences avaient été organisées sur la Question kurde au Moyen-Orient, mais étaient essentiellement consacrées aux deux "gros morceaux" du Kurdistan, celui de Turquie et d'Irak. C'est à ma connaissance, la première fois qu'un débat de cette ampleur était exclusivement porté sur les quelques 2 millions de Kurdes qui vivent en Syrie, et qui, malgré leur nombre minime (si on les compare à leurs compatriotes des autres Etats voisins), sont travaillés doublement par deux problèmes politiques : la situation des Kurdes en général au Moyen-Orient, et la situation et les problèmes spécifiques rencontrés par les Kurdes vivant en Syrie.

De par leur nombre réduit et leur territorialisation fragmentée en Syrie, Les Kurdes syriens n'ont jamais émis de revendications séparatistes. Ils ont cependant soutenu et relayé la cause des autres Kurdes, et ce dès le début des mouvements nationaux : ainsi les membres du Xoybûn, qui dans les années 20 combattaient pour l'indépendance kurde en Turquie, et dont les bases politiques et les publications avaient trouvé asile en Syrie, alors sous mandat français.

Plus riches, mieux éduqués, épargnés par les ravages de la guerre, les Kurdes ont ainsi fourni tout au long du 20° siècle un soutien financier et politique aux autres Kurdes, que ce soit envers le PDK ou l'UPK de Barzani et Talabani, ou bien le PKK, dont le leader ne quitta guère Damas de la fin des années 70 à 1999.

Mais il y a aussi une question kurde en Syrie, et en mars 2004, elle éclata un peu plus bruyamment que d'habitude, l'amenant au grand jour, quand des milices baathistes s'attaquèrent aux supporters kurdes d'un match de foot, en lançant des slogans de soutien à Saddam Hussein. Il y eut des coups de feu (les Kurdes étaient, eux, désarmés) une riposte. La réaction kurde surprit sans doute les autorités syriennes par sa vigueur et son ampleur : en quelques jours, toutes les villes kurdes se révoltèrent. On vit même, chose inouïe, des portraits de Hafez el Assad déchirés. Mais cette violence n'avait pas surgi en un jour, elle n'était que l'aboutissement de revendications qui avaient déjà plusieurs décennies : la liberté de publier et d'enseigner le kurde, l'abolition des discriminations frappant les Kurdes dans les emplois publics, et surtout, le rétablissement dans leurs droits nationaux de peut-être 500.000 Kurdes qui avaient été du jour au lendemain privés dans les années 60 de la nationalité syrienne dans un plan "d'arabisation" de la frontière syro-irakienne. Vivant en étranger sur leur propre sol, ces Kurdes de Djezireh sont le phare des revendications kurdes en Syrie, portées par des partis tels que Yekitî.





La conférence a donc porté sur la situation particulière des Kurdes en Syrie, avec d'abord un rappel historique du passé de cette communauté, "incorporée" à la Syrie lors du découpage des vilayets ottomans, arbitrairement détachés des autres Kurdes, de Turquie ou d'Irak (des familles ont été ainsi séparées, des villages coupés en deux). Une représentante d'Amnesty International, Françoise Morzière, a aussi évoqué la situation des droits de l'Homme en Syrie, ce pays étant une des dictatures les plus répressives pour ses citoyens, qu'ils soient Kurdes ou Arabes, ou de diverses origines.

Les perspectives et l'avenir de ces Kurdes ont été passés en revue, par différents représentants des partis kurdes de Syrie, tels al-Jabha, Yekitî, l'Union démocratique ou Azadî. Il faut ici mentionner la particularité du paysage politique des Kurdes syriens, qui se caractérise par une multiplication assez conséquente des partis (même s'ils essaient de se regrouper en une plate-forme commune) ce qui donne au débat un aspect plus ouvert, plus démocratique, et en même temps complique la tâche pour porter d'une seule voix leurs revendications. On a ainsi atteint jusqu'à 18 partis politiques, pour 2 millions de personnes ! Si l'on compare aux Kurdes de Turquie, qui peuvent difficilement s'exprimer hors et/ou contre le PKK, ou bien avec les Kurdes d'Irak et leurs deux grands partis à caractères très tribaux, les Kurdes de Syrie sont un peu les "petits Grecs du Kurdistan" (au sens d'Athéniens), le débat politique y étant plus présent et pluraliste. D'un côté cet émiettement des forces les affaiblit. Un temps le PKK a cherché à s'imposer avec sa manière habituelle ("autoritaire", disons) mais les actes de violence et l'assassinat de certaines personnalités kurdes en Syrie ont vivement mobilisé contre lui tous les autres partis, et même la population kurde en général, pas prêts à accepter le monolithisme répressif (la collusion entre la Syrie et ce même parti étant aussi un sérieux handicap surtout après 1999).



Une des tables rondes les plus vivantes et les plus intéressantes était celle animée par des avocats, juristes, écrivains, hommes politiques tout droit venus de Syrie, qui ont disséqué avec beaucoup de précisions la nature de l'appareil d'Etat syrien, la nature du régime politique baassiste, qui en lui-même porte la condamnation et l'exclusion des groupes non-arabes de Syrie. Le tout était étayé par des exemples concrets, puisque ces représentants sont de par leur fonction des hommes de terrain. Les lois d'exception, l'Etat policier, ont été ainsi passés au crible par Rifaat Semo, Lazgîn Ibou, tandis que Marwan Othman racontait dans une langue kurde poétique et riche, presque épique, le soulèvement kurde de mars 2004, ou Serhildan.

L'avantage de ces conférences est de permettre aussi à différentes parties de se rencontrer plus facilement qu'au pays. Les relations entre l'opposition arabe et kurde ont ainsi été évoquées. Jusqu'au début des années 2000, il y avait peu de contacts entre les deux groupes d'opposition, et le dialogue entre eux, voire la coordination, furent longs à démarrer et restent encore timides, d'abord en raison de la difficulté pour ces groupes d'opposition d'exercer tout simplement leurs drotis démocratiques et politiques, mais aussi parce que les tabous portant sur la dichotomie "nationalisme arabe/séparatisme kurde" restent prégnants. Mais enfin des plate-formes communes ont vu le jour, tel le comité Dialogue kurdo-arabe, représenté ici par Habib Ibrahim, ou la rpésence la même table ronde de Borhan Ghalioun, directeur du Centre d'études de l'Orient contemporain et Abdulbasset Seida, philosophe et écrivain kurde, qui vient de publier un livre sur les Kurdes de Syrie.

Pour en savoir un peu plus sur les Kurdes de Syrie :

La Question kurde en Syrie, Abdulbasset Seida.

Les événements de Qamichlo : irruption de la question kurde en Syrie ?
Julie GAUTHIER

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Concert de soutien à l'Institut kurde