mercredi, septembre 29, 2004

Les Amis par-delà les montagnes



Evîndarê Zimanê Kurdî * (l’amoureux de la de la langue kurde)


Mutlu Civiroglu


La première fois que j’ai entendu parler de Michael Chyet c’était en écoutant l’émission kurde hebdomadaire sur Voice of America. Je me souviens encore du choc que j’éprouvais alors en entendant un Occidental s’exprimer dans un kurde impeccable. Je me souviens très bien avec quelle impatience j’attendis le samedi suivant son émission hebdomadaire “Zimanê Me”. La semaine suivante, l’émission démarra avec l’inoubliable musique du film “Yol” de Yilmaz Güney, et puis Michael enchaîna, d’une façon qui m’assura bien du fait quue son nom était bien Michael et qu’il était bien Américain. J’étais stupéfait et extrêmement fier qu’un non-puisse parler une si belle langue kurde alors que tant de Kurdes préfèrent s’exprimer en tout, sauf ans leur langue maternelle. Je voulus savoir qui Michael Chyet et comment il avait pu apprendre le kurde à la perfection.



Michael L. Chyet est né en 1957 à Cincinnati, dans l’Ohio, d’une famille de juifs américains. Son père, Stanley Chyet, était poète, historien et rabbin. Quand Michael acheva ses études secondaires, il partit à Los Angeles, où il obtint une maîtrise d’arabe à l’université de Californie, en 1980. En 1991, Chyet obtint son diplôme de 3° cycle en "Langues et folklore du Moyen-Orient" à l’Université de Californie, à Berkeley. Son père et un de ses professeurs l’encouragèrent dans son intérêt pour la langue kurde. Il apprit le turc à l’université du Bosphore à Istanbul et passa l’année 1987-88 à l’université Ataturk à Erzurum, étudiant particulièrement les dialectes et styles turcs. C’est durant son séjour en Turquie que Chyet fit une expérience directe avec la répression linguistique. Résistant aux pressions, il choisit d’écrire sa thèse sur 18 versions du poème pique kurde, Mem û Zin, une histoire d’amour belle et triste ressemblant à Romeo and Juliet. Il intitula sa thèse, "And a Thorn Bush Sprang between Them. Le buisson d’épines symbolise l’incapacité des Kurdes à s’unir, expliqua-til. La version la plus récente était disponible sur cassette, que Chyet dût faire sortir en cachette de Turquie. Entre 1991 et 1995, il travailla à l’université de Berkeley.

En 1995 sa carrière dans le domaine de la langue parvint à un point intéressant. Quand il était en Californie, l’équipe kurde de Voice of America (VOA) lui proposa de travailler pour la radio. Michael Chyet raconte : “Ils m’ont contacté alors que j’étais en Californie. Ainsi je suis parti à Washington et leur ai donné une évaluation de lamatière. Après avoir vu les choses de mes prorpes yeux, j’étais très heureux d’avoir la chance de travailler avec eux. Parce que tous parlaient kurde et cela me toucha profondément. Littéralement, j’en eux les larmes aux yeux. Ainsi je commençais de travailler à la radio comme rédacteur.” Michael Chyet travailla comme rédacteur en chef dans l’équipe kurde jusqu’en 2001. Il assurait une émission linguistique, Zimanê Me (Notre langue), le samedi, dans laquelle il présentait ouvertement beaucoup de questions à ses auditeurs kurdes, qu’il encourageait à faire partager leurs points de vue avec l’équipe à la radio.

J’étais l’un de ces Kurdes, profondément attachés à l’émission et à son créateur. Quel sentiment extraordinaire de voir que quelqu’un d’autre parlait le kurde – cette langue toujours interdite et dédaignée, dont les locuteurs étaient continuellement opprimés et humiliés. J’ai commencé à parler à tous mes amis de Michael et essayais de les encourager à parler le kurde à la place du turc. Si un Américain parlait le kurde de façon aussi parfaite, leur disais-je, c’est qu’il doit y avoir quelque chose de beau dans notre langue et je demandais à mes amis pourquoi nous n’apprendrions pas à la parler. Quel dommage que tant de Kurdes de Turquie ont intériorisé toutes les vues négatives que l’Etat turc nous a inculquées et que nous nous soyons éloignés de nous-mêmes de notre langue maternelle et par là-même de notre kurdité. Parler le kurde signifiait être illettré et ignorant, et beaucoup de Kurdes faisaient ainsi de leur mieux pour apprendre le turc et parler turc en public, afin de montrer leur niveau d’instruction.

Cette situation est loin d’être résolue de nos jours. Les Kurdes de Turquie, principalement, continuent d’utiliser le turc comme langue de tous les jours. Même quand ils ne sont plus réprimés au Kurdistan ou en Turquie, que ce soit en Europe, en Amérique du nord ou en Australie, ils continuent de parler turc et d’apprendre cette langue à leurs enfants au lieu de leur transmettre leur langue maternelle. Bien que beaucoup de pays occidentaux leur fournissent de très grandes possibilités pour que la culture et la langue kurde puissent être enseignées et développées, malheureusement, beaucoup de Kurdes continuent d’ignorer leur langue.

Ici, au Canada, par exemple, vivent plus de 30 000 Kurdes, surtout dans la province de l’Ontario, pour une large part des Kurdes du nord. Pourtant, il n’y a encore aucune institution qui soutienne les études de kurde. La Canada est un pays multi-cutlurel et le gouvernement soutient beaucoup de cultures communautaires. Au rebours de ce qui se passe au Kurdistan et les pays avoisinants, aucune répression n’est exercée contre la communauté kurde, sa langue et sa culture. Bien au contraire, le gouvernement a créé des fonds pour que les communautés ensiegnent leur langue et leur culture. Ainsi, le gouvernement canadien a alloué des fonds pour des centres, des écoles, et même des émissions de radio ou de télévision. Pourtant, aucun de ces aides n’est utilisé par notre peuple. Si les Kurdes n’approfondissent pas la connaissance de leur langue ou ne la promeuvent pas au sein de leur famille, ils sont les seuls à blamer

Dans l’une des plus grandes universités du pays, l’université de Toronto, il y a un département des Civilisations du Proche et du Moyen-Orient. Dans la borchure que ce département a publié, il se définit lui-même comme “attaché aux études inter-disciplinaires des civilisations et des cultures du Proche et du Moyen-Orient depuis l’époque néolithique jusqu’à nos jours, incluant les langues et les littératures (l’accadien, l’assyro-babylonien, l’arabe, l’araméen et son proche dialecte le syriaque ; l’égyptien ancien, le grec hellénistique ; l’hébreux bilibique, rabinique, médiéval et moderne, le persan, le turc), l’archaéologie, l’histoire, l’art et l’architecture”. Parmi tous les peuples du Moyen-Orient – disparus ou encore en vie – seuls les Kurdes sont absents de cette longue liste. En dépit du fait qu’un professeur d’origine kurde travaille dans ce département, il n’y a pas un seul cours consacré à l’étude de la langue, de l’histoire ou d ela culture kurdes. Il ne serait pas juste de blamer uniquement l’université d’ignorer l’un des plus nombreux et des plus anciens peuples du Moyen-Orient. Car malheureusement, c’est avant tout aux intellectuels et au public kurdes de susciter un intérêt pour leur culture et de promouvoir son étude universitaire.

Non seulement les Kurdes ne font pas naître aucune intérêt pour les études kurdes parmi les Canadiens, mais c’est à peine s’ils transmettent cet intérêt à leurs propres enfants. Presque tous les enfants kurdes parlent turc. Bien que leurs parents insistent fortement sur leur identité kurde et la défendent avec passion, ils sont pourtant loin d’accorder de l’importance à l’enseignement de leur langue maternelle à leurs enfants. Beaucoup d’hommes d’affaire kurdes ont des noms turcs afin de se rendre plus attractifs pour le public. Inutile de préciser que tous les employés kurdes parlent turc entre eux. Le seul journal que les Kurdes revendiquent comme leur est majoritairement écrit en turc, hormis deux rubriques d’informations en kurde et en anglais, mises là, semble-t-il, de façon presque cosmétique.

Il est indéniable que la langue est l’un des éléments les plus importants d’une culture. Et quand il s’agit des Kurdes, la mission accordée à la langue est encore plus cruciale et fondamentale. En tant que nation sans Etat, il est de la responsabilité des Kurdes d’apprendre leur langue, et de la transmettre aux générations futures. Une fois que les Kurdes auront perdu leur langue, il leur restera très peu de choses à défendre. Le kurmanji que nous chérissons nous a été transmis depuis des milliers d’années par nos ancêtres. C’était la volonté d’Ali Hariri Melayê Cizîrî, Feqîyê Teyran, Pertew Begê Hekkarî, Ahmedê Xanî, Mir Celadet Bedir Khan et les autres Bedirkhani, Erebê Shemo, Djasime Djelîl, Qanatê Kurdo, Cegerxwîn and beaucoup d’autres. Notre principal devoir est de la conserver et de la transmettre à nos enfants. L’Etat turc n’a pas réussi à tuer le kurde, il serait honteux que les Kurdes eux-mêmes fassent le travail des Turcs en délaissant dangereusement leur langue. Autrement, l’Histoire nous maudira pour n’avoir ni aimé ni défendu notre langue.

Contrairement à l’adage populaire, “Les Kurdes n’ont pour amis que leurs montagnes”, je crois que les Kurdes ont beaucoup de grands amis qui se sont consacrés à la langue kurde et à leur culture, comme Maurizio Garzoni, qui écrivit une grammaire kurde en 1787; les kurdologues russes Vladimir Minorsky et Basile Nikitine, qui ont écrit de nombreux articles et livres sur les Kurdes; Ely Bannister Soane, resté dans les mémoires pour ses livres et articles novateurs sur la langue des Kurdes, leur poésie, leur société, dont le plus important est To Mesopotamia and Kurdistan in Disguise (1908); Roger Lescot, qui fondit le département de kurdologie à l’université de la Sorbonne en 1945 et aida Djeladet Bedir Khan à écrire la grammaire de kurmanji la plus fondamentale, et écrivit sur la fameuse épopée nationale “Memê Alan” ainsi et les Kurdes yézidis ; Joyce Blau, qui enseigna la langue kurde à l’Institut national des langues orientales de Paris et écrivit un dictionnaire kurde-aglais-français ; Martin Van Bruinessen, éminent kurdologue hollandais et auteur de plus livres sur les Kurdes, tels que “Agha, Sheikh, and State”, “Ehmedî Xanî’s Mem û Zîn and its role in the emergence of Kurdish national awareness” et “Writings on Kurdistan”; Susan Meiselas, auteur du fameux livre “Kurdistan: In the Shadow of History” où elle collecta des photographies historiques, des cartes, des souvenirs, et des rapports gouvernementaux, afin de re-créer l’histoire Kurdistan; Sheri Laizer, auteur de livres éminents, tels que “Martyrs, Traitors and Patriots: Kurdistan After the Gulf War” et “Into Kurdistan Frontiers Under Fire”; David McDowall, avec “The Kurds: A Nation Denied”, “A Modern History of the Kurds” et beaucoup d’articles sur les Kurdes; Robert Olson avec “The Emergence of Kurdish Nationalism and the Sheikh Said Rebellion”, “The Emergence of Kurdish Nationalism”, “The Kurdish Question and Turkish-Iranian Relations”, Sandrine Alexie qui a traduit en français la grande épopée nationale “Mem û Zin” avec Akif Hasan et est actuellement occupée à préparer une traduction du “Sharafnama”, la première histoire connue pro-kurde, de Sharafeddin Bitlisi.

Nous avons aussi beaucoup d’autres amis tels que Brendan O'Leary, le co-auteur d’un livre intitulé “The Future of Kurdistan in Iraq”, et dont les articles s’attachent à mettre la cause kurde à l’ordre du jour. Il y a aussi le défenseur de longue date des droits des Kurdes, Peter Galbraith, et ceux qui ont témoigné de leur amitié à notre peuple, avec d’éloquents et perspicaces articles, comme Ralph Peters, Shlomo Avineri, John McGarry, David Ramono, Gerald A. Honigman, Alan Dershowitz, Leszek Dziegiel, Christine Allison, Thomas Sinclair, Philip Kreyenbroek, Mirella Gelletti et tant d’autres.

Mais revenons à Michael. Michael Chyet est un des plus grands amis de notre nation. Les services qu’il a rendus à la langue kurde ne se sont pas limités à ses activités dans la radio kurde. Parallèlement à son travail à la VOA, Michael Chyet enseigne aussi le kurde à l’Institut kurde de Washington Kurdish. Mike Amitay, le directeur exécutif, nous livre ses propres impressions sur Michael Chyet: “Il a dépensé beaucoup de temps et d’énergie à enseigner le kurmanji et le sorani au WKI et répond de façon réfléchie et directe à toutes les demandes...Je suis très heureux des projets de Michael pour enrichir des manuels de cours avec les matériaux qu’il a accumulés durant des années d’enseignements en classe.”

En 2001, le Dr. Chyet enseigna le kurde à l’INALCO à Paris, et à l’Institut kurde de Paris. During Durant son séjour dans cette ville, il a participé à plusieurs séminaires et conférences. Le Dr. Chyet continue d’enseigner le kurde à l’Institut kurde de Washington, une occasion remarquable pour les Kurdes d’Amérique d’apprendre ou d’améliorer leur kurde écrit et parlé.

Michael Chyet fait partie des Commissions consultatives de l’Institut kurde de Washington et de la Bibliothèque kurdede Suède. Il participe aussi à la publication de l’impressionnant journal de l’Institut kurde de Paris, Kurmanci. Le Dr. Chyet a animé aussi beaucoup de séminaires linguistiques sur des problèmes de terminologie et de standardiaation de la langue kurde. Chyet travaille actuellement aux Etats-Unis, à la Bibliothèque du Congrès, comme responsable du catalogue kurde.

Ses collègues de l’équipe kurde de la VOA apprécient aussi son travail sur la langue et la littérature kurdes. Comme le dit Homer Dizeyee, le responsable de l’équipe kurde de la VOA, et son ancien collègue, “Michael Chyet écrit des articles de valeur. Il a une oreille étonnante qui lui permet d’apprendre très facilement les langues. C’est un philologue, un professeur de langue et un folkloriste de haut niveau. J’ai travaillé avec Michael durant des années et nous avions beaucoup d’approches communes concernant la linguistique"; pour Fakria Dosky, “C’est un très bon linguiste, qui aime l’apprentissage des langues, et surtout le kurde. Il repère très vite les mots et en vous écoutant peut aisément deviner de quelle partie du Kurdistan vous êtes”. Birusk Tugan remarque, “J’ai rarement vu un tel enthousiasme à apprendre et étudier le kurde.”

Le Dr. Najmaldin Karim, président de l’Institut Kurde de Washington exalte les efforts de Michael Chyet , “Ce qu’il a fait pour le Kurdistan est indicible; c’est un grand et véritable ami de notre peuple, j’aimerais qu’il y ait plus de gens comme lui ”.

Mike Amitay, un autre ami des Kurdes, qui a défendu politiquement la cause kurde avec fougue et éloquence, alors qu’il était directeur exécutif de l’Institut kurde de Washington nous dit la chose suivante :

“Le Dr. Michael Chyet est un homme remarquable et un savant inégalé. Brilliant folkloriste et linguiste, son bouquet de langues moyen-orientales reflètent sa passion pour la culture, derrière celle des mots et de la grammaire. Michael parle au moins 35 langues et se “dépatouille” avec de nombreuses autres. Ses séjours et ses études dans des villages de régions majoritairement kurdes de l’est de la Turquie, ou bien en Palestine, ajoutés à son attrait pour la musique, les danses folkloriques, les devinettes, les proverbes et d’autres formes d’expression culturelle donnent à son ensiegnement une couleur “indigène”.

Je n’oublierai jamais ma première impression concernant Michael, que j’ai rencontré sur la pelouse du Capitole lors d’une manifestation des militants kurdes de Turquie en 1993, très peu de temps après son arrivée à Washington, en tant que rédacteur du programme kurde de Voice of America. Il était en pleine discussion, en kurde, avec plusieurs personnes, et j’ai été frappé de l’attentio et, de la familiarité respectueuse que les gens autour lui témoignaient. Je l’ai d’abord pris pour un activiste politique chargé de répandre l’évangile Apo et tombais à la renverse en découvrant qu’il était en fait originaire de Cincinnati, dans l’Ohio, et que son père était un rabion progressiste réputé.

Avec les années, mon respect et ma déférence pour Michael n’ont fait que croître. Tout en restant éloigné de la politique des partis kurdes et des organisations de diaspora, sa promotion infatiguable de la préservation de la culture et son soutien fervent au développement de l’enseignement du kurde, ainsi que son usage culturel ont fait de lui quelque chose comme un pur Kurde nationaliste…”

Voici une compilation de plusieurs entretiens avec with Michael Chyet. Après les avoir lus, j’espère que les Kurdes comprendront mieux quelle fut la contribution de Michael Chyet et ce qu’il continue de faire pour la littérature kurde. Son dernier travail, fruit d’un labeur acharné, le Kurdish-English Dictionary, est le dictionnaire kurmanji le plus complet qui ait jamais été publié, et qui lui a coûté près de 18 années de travail. Ce dictionnaire est d’une immense utilité non seulement parce que c’est le plus étendumais aussi parce qu’il donne les mots dans leur transcription en alphabet latin ou arabe, les régions où ils sont employés, en même temps qu’il les replace dans des exemples de phrases tirées de la littérature kurde. Ce dictionnaire est indispensable dans chaque foyer kurde, et pour tous les Kurdes qui veulent réintroduire dans leur vie toute la beauté et la richesse de la langue kurde. Au nom des Kurdes, je remercie le Dr. Michael Chyet, pour son amitié envers une nation oubliée, pour son rôle, en tant que passerelle entre deux peuples opprimés – les juifs et les Kurdes. Je le remercie encore pour ses efforts inestimables envers la littérature et la langue kurdes, et pour avoir montré au monde que les Kurdes avaient d’autres amis que leurs montagnes.

Pir sipas, Michaelê heja. Mala te ava!


Interview with Michael L. Chyet

QUESTION: Michael pouvez-vous nous dire quand vous avez réalisé pour la premirèe fois votre don et votre amour des langues ?

Eh bien, l’histoire a commencé quand j’étais à l’école primaire où je m’ennuyais, si bien que mes parents, des juifs névrotiques, me traînèrent chez un psychologue-sociologue, qui me fit dessiner, et tout le tra là là, et pour finir il dit à mes parents, en substance que je m’ennuyais, aussi ils me mirent dans une école privée. Donc l’autre chose que je puis dire, c’est que j’étais dans une école d’hébreux – une demi-journée d’anglais, une demi en hébreux – et que j’y suis resté de la première classe à la sixième. Et puis en septième, je suis allé dans un collège préparatoire aux études supérieures, où j’ai dû étudier le latin. Et c’est en septième que je me suis aperçu que c’était un apprentissage très facile pour moi. Et la même année, j’ai déniché dans le grenier de mes parents des manuels d’allemand, de yiddish, d’espagnol et de français. Peu de temps après j’y ai ajouté le russe. C’est ainsi que j’ai commencé, en gros, et puis il y a eu un effet boule de neige. Après quelques années, —bon, je suis aussi un danseur folklorique et un folkloriste, et j’adore ça— et si j’aime la musique et la langue d’un peuple, j’en arrive naturellement à apprendre sa langue. Ainsi j’adore les langues balkaniques et la musique des Balkans : Bulgare, macédonienne, serbo-croate, albanaise, grecque...

Quand j’ai eu une mononucléose, j’ai étudié le hongrois comme un moyen de me garder en forme pendant que je récupérais. Mais en tous cas, l’idée de devenir un spécialiste du Moyen-Orient a germé quand j’étais en huitième en Israël, avec d’abord l’étude de l’hébreux, puis d el’arabe, et finalement j’ai étudié le persan et puis le turc. Et après avoir engrangé tout ça, j’ai commencié d’étudier le kurde. Et une fois encore, c’est la musique et le folklore qui m’ont d’abord accroché.

Il y eut ces danses de Turquie que j’ai adorées, et je me souviens quand j’avais 18 ans, et que je lisais la description d’une danse folklorique, qui était décrite comme étant la danse d’une minorité kurde en Turquie. Et cela m’avait sidéré. Je me suis dit : “Est-ce que ça veut dire qu’il y a autre chose que des Turcs en Turquie ?”

QUESTION: Pouvez-vous nous dire combien de langues vous parlez ?

Eh bien, il faut distinguer entre parler et étudier. J’ai étudié près de 35 langues. Cela ne signifie pas que je parle 35 langues. Cela prend des années de s’entraîner à parler réelIement et de façon courante une langue ainsi que d’arriver à comprendre sans effort ce que disent les gens. Cela prend des années. C’est le cas en ce qui me concerne pour l’hébreux, l’arabe—plusieurs dialectes arabes—le turc, le kurde et le français, car j’ai vécu récemment en France.

QUESTION: Dans combien d’endroits différents avez-vous vécu ?

En dehors des Etats-Unis, j’ai vécu en Israël à plusieurs reprises, et cela inclut le secteur arabe d’Israel, avec deux ans passés dans un village arabe. J’ai vécu en Turquie; j’ai séjourné en France un an. Et j’ai voyagé. Il y a des gens qui pensent que cela fait beaucoup, mais moi je suis surtout conscient du fait d’avoir très peu voyagé.

QUESTION: Que pensez-vous de la levée de l’interdiction du kurde en Turquie ?

Qui va pouvoir assurer ces émission s’il n’y a aucune personne instruite en Turquie ? Les Kurdes qui peuvent lire et écrire leur langue sont majoritairement en exil. Il faut créer une classe de Kurdes éduqués et la Turquie doit évoluer.

QUESTION: Du point de vue de l’Etat turc, pourquoi interdire le kurde ?

Ils pensent faire croire que la Turquie a changé. C’est la même chose dans toute la région : 1 peuple, 1 langue et 1 religion. Quand le gouvernement des US dit que la turquie est une démocracie, ça n’aide pas les Kurdes et ne pousse pas la Turquie à se démocratiser. Pendant des décennies le mot “Kurde” a été interdit, ils utilisaient à la place celui de “xayin- traitre”. Je suis très sceptique sur les derniers développements concernant la légalisation du kurde en Turquie. Est-ce que cela veut dire que nous pouvons nommer “Kurdistan” les régions orientales de la Turquie sans être jeté en prison ? Alors que c’est un terme qui a été utilisé par les Turcs seldjoukides et est apparu au 13ème-14ème siècle sur les cartes ottomanes.

A tout moment, quicoque essaie de faire quelque chose en faveur de la langue, de la littérature ou de la culture kurdes est stigmatisé comme étant PKK ou terroriste. Il existe beaucoup de partis et d’organisations, dont certains n’ont aucune relation avec le PKK. A vrai dire, le PKK n’utilise pas assez le kurde à mon gré. La plupart des gens du PKK que j’ai rencontré en Europe parlent le turc entre eux. A mon avis, ils n’ont jamais rien fait pour faire renaître et developper la langue kurde. Je pense que cela fait partie d’une manoeuvre politique, de la part du PKK, d’abattre la carte de la langue kurde pour leur desseins en Turquie.

Regardez ce que les juifs ont fait depuis le début du 20ème siècle jusqu’en 1948, pour faire réellement de l’hébreux (qui a été une langue morte pendant 2000 ans) une langue à nouveau parlée, une langue régénérée, et pour faire en sorte que les enfants le parlent, il faut une très forte détermination. Malheureusement, cela n’est pas le cas pour les Kurdes, qui sont loin de faire tout ce que les juifs ont fait. Une grande majorité de Kurdes n’apprend pas le kurde à ses enfants, qui sont donc incapables de lire ou d’écrire en kurde, et ne voit en cette langue qu’un instrument politique. Je crains que cette langue en Turquie soit en passe de disparaître dans les 20 prochaines années, comme ce fut le cas de beaucoup de langues indigènes en Amérique, dans les deux derniers siècles.

Si vous chassez les Kurdes de leur village et les obligez à vifvre dans de grandes villes turques, la jeune génération sera assimilée et dans dix ans, nous passerons de quelques millions de locuteurs à quelques milliers et puis un seul. C’est ce qui s’est produit au caucase ou en Amérique. Je suis vraiment très effrayé de ce qui se passe pour la langue kurde en Turquie et dans la Diaspora. Parce que les parents ne transmettent pas le kurde à leurs enfants. Il est très désapointant de constater à quel point les Kurdes ont intériorisé es messages négatifs émis par l’Etat turc.

QUESTION: Si telle est la situation des Kurdes et de la langue kurde, pourquoi dans ce cas l’Etat turc refuse e s’ouvrir à un enseignement du kurde

Je ne suis pas sûr qu’ils (l’Etat turc) en soient conscients. Moi je Ie sais parce que je connais très bien les Kurdes. Je vais dans leurs foyers, je parle avec eux et voyage au milieu d’eux. Si vous ne les connaissez pas réellement, vous ne pouvez pas réellement en être cosncient. Les Turcs sont dominés par leurs sentiments et gouvernés par leurs peurs.

Toutes les fois que j’ai essayé de trouver quelqu’un qui parle réellement le kurde pour améliorer ma pratique orale, quand il s’agissait de Kurdes de Turquie, j’avais presque toujours affaire à des gens qui avaient émigré vers de grandes villes turques comme Istanbul alors qu’ils étaient enfants, qui avaient grandi en parlant le turc et qui savaient très peu de kurde.

Je suis très déçu par les Kurdes; surtout par les Kurdes de Turquie qui ne font rien pour revivifier la langue kurde.

QUESTION: Pouvez-vous nous exposer l’attitude des Kurdes envers leur propre langue ?

Bien que le kurde reste unelangue vivante, l’éducation des enfants kurdes continue de se faire dans une langue étrangère. Cette amère réalité est une menace pour l’avenir de la langue kurde. Pourquoi le kurde ne devrait-il pas être utilisé à l’école et à l’université, de sorte que les enfants et les étudiants kurdes puissent étudier dans leur langue maternelle ? Une telle aspiration n’est pas seulement un rêve : cela a été fait dans des régions du Kurdistan d’Irak et en Arménie. A Sulaymania et à Yerevan, il y a des Kurdes qui ont appris à lire et écrire leur langue à l’école.

Le nombre des Kurdes est estimé entre 30 et 35 millions. Mais parmi ces 30-35,000,000 de Kurdes, seul un petit nombre a été éduqué dans sa langue. Mais il y a beaucoup à faire pour renverser la situation. Nous devons éduquer et former une nouvelle génération de professeurs, et nous avons besoin de nous débarrasser de certaines de nos attitudes. Pourquoi les Kurdes qui vivent en europe et en Amérique ne lisent pas en kurde ? Quelles sont les prétextes invoqués ? pensez vous que la police secrète turque va faire une descente dans leurs foyers en Allemagne et arrêter tous ceux qui posséderaient des livres, périodiques et journaux kurdes ? Pourquoi ne sont-ils pas fiers de parler kurde et n’apprennent pas à leurs enfants à le lire et à l’écrire ? Est-ce parce que les Kurdes ont intériorisé les idées prêchées par leurs ennemis sur la futilité de la cause kurde ?

QUESTION: Combien pensez-vous qu’il y a de Kurdes illettrés en Turquie ?

Ce n’est pas qu’ils sont illettrés, la plupart d’entre eux sont éduqués en turc. Il n’y a pas de chiffre offociel pour le nombre de Kurdes en Turquie, donc il est difficile de faire une estimation, mais je peux vous dire que quand un livre est publié en kurde, si 60 exemplaires sont vendus, c’est un bon résultat. Alors que nous parlons de 12 à 20 millions de Kurdes rien que pour la Turquie. Je ne parle pas des Kurdes vivant en Irak, en iran, en Syrie et dans les pays de l’ex-Union soviétique. Si ces 60 exemplaires servent d’indice pour Ia connaissance du kurde en Turquie, eh bien nous arrivons à un très petit nombre.

Quand vous abordez ce problème, les Kurdes répondent : “mais nous ne savons pas écrire en kurde”. C’est un blocage psychologique chez beaucoup de personnes, et c’est cette réalité qui doit être surmontée, mais je ne crois pas que l’Etat turc soit très intéressé à le faire. Ils craignent que si l’enseignement du kurde ne mène au séparatisme.

QUESTION: Que pensez-vous des cours de langue privés pour apprendre le kurde ?Il y a un institut kurde à Istanbul, peut-on y apprendre le kurde ?

Ce que j’ai compris de la loi est qu’elle ne fait référence qu’aux cours privés. A Istanbul, il y existe de telles écoles de langues pour apprendre l’anglais, le français, l’allemand et l’italien. Si une telle école offrait des cours de langue kurde, qui serait assez fortuné pour se permettre de suivre des cours privés en langue kurde, dans le contexte turc ? Parce que la langue kurde est peu prisée. Qui pourrait se permettre de dépenser de l’argent pour le kurde, cette “sous-langue si peu prestigieuse” ? Il semble que ce que la loi mentionne ne peut attirer des étudiants par ce biais.

QUESTION: Que pensez-vous des médias kurdes ?de VOA Kurdish Radio, Medya TV (Roj TV), Kurdistan TV, KurdSat TV, et des autres?

Les émissions en kurde de VOA comprennent 4 heures quotidiennes, en kurmanji et en sorani. Le sorani est parlé dans des parties Kurdistan d’Irak et d’Iran, mais pas du tout en Turquie. Le dialecte principal parlé en Turquie est le kurmanji mais l the kurmanji parlé àn VOA a l’accent du Kurdistan d’Irak. Aussi, beaucoup de Kurdes de Turquie disent “nous ne comprenons rien, c’est pour les Kurdes d’Irak” et ils tournent le bouton de la radio.

En ce qui concerne Medya TV, ils émettent en kurmanji, en turc, en sorani, en zazaki, en arabe et en assyrien. Je dirais que le kurmanji et le turc ont le plus grand nombre d’heures par jours, c’est du moins l’impression que j’en ai.

Il y a aussi des chaînes de télévision au Kurdistan d’Irak. Le Parti démocratique du Kurdistan (KDP) possède Kurdistan TV et l’Union patriotique du Kurdistan (PUK) KurdSat TV. L’UPK qui siège à Sulaymania est avant tout sorani et le PDK basé à Hewler est composé de locuteurs kurmanji méridionaux. Les officiels du KDP pensent que le sorani a plus de prestige que leur kurmanji, aussi donnent-ils tous leurs communiqués de presse et interviews dans les médias en sorani. Leurt propre dialecte ne semble pas jouir d’une assez grande considération pour être utiulisé dans des émissions, qui ont plus pour objet de diviser les Kurdes que de les unir. which divides the Kurds rather than unifying them.

QUESTION: Est-il important que l’UE et les gouvernements étrangers poussent la Turquie à donner plus de liberté aux Kurdes ?

Je crois plutôt que non seulement les Kurdes, mais tous les citoyens, turcs, grecs, arméniens et autres vivant en Turquie doivent obliger ce pays à se démocratiser le plus possible et je ne pense pas que le gouvernement des US soit une aide quand il appelle la Turquie une démocratie. Je ne crois pas que cela aide la Turquie à traîter ses problèmes.

Je crois qu’avant cela les Kurdes eux-mêmes doivent se débarrasser des préjugés négatifs qu’ils ont intériorisés. Par exemple, ils doivent refuser de parler turc chez eux. Si les parents kurdes disent “A partir de maintenant nous parlons kurde à la maison et je ne veux pas entendre un mot de turc” alors ils pourront transmettre cette langue aux générations futures. S’ils le font, cela pourrait avoir des résultats politiques. Mais je crois que les gens se sentent impuissants et qu’ils pensent ne rien pouvoir faire.

QUESTION: Vous semblez très attaché aux Kurdes. Vous avez passé 18 ans à travailler sur votre dictionnaire kurde. A part la musique et la danse, est-ce qu’il y a quelque chose qui vous a attiré dans cette langue ?

C’était comme une terra incognita. Quelque chose dont personne ne se souciait, qui n’intéressait personne. Donc j’ai pu m’y faire une sorte de niche personnelle. Je veux dire, que pour les études moyen-orientales, il suffit de voir que totues les grandes universités ont département du proche-Orient où l’on peut apprendre l’hébreux, l’arabe, le turc et le persan. Et le kurde ? C’est seulement maintenant, pour des raisons politiques, que l’on commence à s’y intéresser. Moi – quand j’entends parler le kurde, quelque chose bondit en moi. Un tressaillemement de joie. Et je dois dire que je ressens aussi cela pour le néerlandais ou l’arabe. Je veux dire qu’il y a des langues avec lesquelles vous avez certaines affinités.

1 commentaire:

  1. Anonyme12:38 AM

    Article qui devrait être envoyé à chaque kurde,d'où qu'il soit...

    La montagne a toujours été un "ami" pour le peuple kurde,mais il n'est pas le seul.

    Nous en avons d'autres,de grands intellectuels dans les quatres coins de la planète,mais nous ne les connaissons pas.

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Concert de soutien à l'Institut kurde