dimanche, septembre 22, 2002

Élections en Turquie : le Sud-Est privé de ses leaders



La Commission Suprême des Élections en Turquie (YSK) a prononcé le 20 septembre contre quatre candidats une interdiction de se présenter aux prochaines élections du 3 novembre, ceci malgré les récentes réformes votées par le Parlement turc en août dernier pour mettre la législation du pays en conformité avec les critères de Copenhague.

Parmi eux, Murat Bozlak, Président du HADEP, qui se présentait en tête de liste à Diyarbakir et Akin Birdal, Président du SDP et ancien Président de l'Association turque des droits de l'homme, qui se présentait en tête de liste à Mersin. Akin Birdal s'est toujours battu pour promouvoir la paix dans les régions kurdes, ce qui lui a valu de subir une tentative d'assassinat en 1998, dont il n'a réchappé que par miracle et grièvement blessé après avoir reçu plusieurs balles. Murat Bozlak a également été pris pour cible dans le passé.

Akin Birdal et Murat Bozlak sont pourtant connus en Turquie pour leurs discours pacifistes et leurs prises de position en faveur de la paix, de la réconciliation des Kurdes et des Turcs, de la démocratie et des droits de l'homme.

Ces interdictions interviennent alors que la Cour Constitutionnelle doit se prononcer sur une éventuelle fermeture du HADEP, et que la Turquie qui aspire à rejoindre l'Union Européenne attend de cette dernière qu'elle fixe rapidement une date pour l'ouverture de ses négociations d'adhésion. L'épée de Damoclès qui met en danger depuis 1999 l'existence légale de ce parti, majoritaire dans le Sud-Est principalement peuplé de Kurdes, n'est pas de nature à assurer le jeu démocratique et cette situation est d'autant plus préjudiciable qu'elle fait celui du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan récemment rebaptisé KADEK) qui manœuvre en permanence pour tenter d'obtenir l'adhésion de la population d'origine kurde.

Dans ce contexte, il n'est pas inutile de rappeler en effet que cela fait des mois que le PKK/KADEK ne ménage pas ses efforts pour tenter d'obtenir la fermeture du HADEP, dont il a toujours considéré le chef de file comme un obstacle. Il n'hésite d'ailleurs pas, pour convaincre les associations et instances européennes de sa propre "légitimité", à présenter certains de ses militants comme des représentants officiels du HADEP, ce qui lui permet de diffuser largement sa propagande, malgré son inscription sur la liste de l'Union Européenne des organisations terroristes.

La mise à l'écart du HADEP et principalement de son président, respecté et reconnu dans le Sud-Est pour son action en faveur de la paix, ouvre la voie aux mouvements extrémistes, et entrave l'action d'une classe politique kurde modérée. En effet, réduire au silence des hommes politiques pacifistes et leaders dans la région, c'est s'exposer à creuser encore le fossé avec le reste du pays, en l'absence de représentants reconnus, libres d'assurer leurs mandats et donc capables au besoin de canaliser une situation difficile à contrôler. Après 15 ans de guerre, les régions kurdes sont dans une impasse économique alarmante, avec une agriculture en sérieuse difficulté et une industrialisation indigente. La population, qui comprend des millions de réfugiés déracinés et démunis, doit être assistée de toute urgence si l'on ne veut pas encourir des désordres politiques et sociaux graves.

En interdisant l'élection de représentants légitimes qui bénéficient de la confiance des électeurs à un moment où la situation sur place devient de plus en plus préoccupante, la Turquie se prive d'un précieux soutien, d'autant que le PKK/KADEK réarme actuellement ses troupes dans la guérilla qu'il cherche à réactiver notamment en Turquie, Irak, Iran et Syrie.

Le recul démocratique dont vient de faire preuve la Turquie ne plaide pas en sa faveur avant la réunion du Conseil Européen de Bruxelles, prévue fin octobre, et qui doit débattre de la question de l'élargissement en décidant notamment quels pays-candidats pourront conclure leurs négociations d'adhésion à la fin de l'année.

Il serait donc souhaitable pour la stabilité politique de la Turquie qu'elle revienne sans délai sur cette interdiction qui vient contredire les récentes réformes juridiques votées par le Parlement. Il est temps également de suspendre toute menace concernant la fermeture du HADEP, afin que ce parti puisse soutenir efficacement les Kurdes de Turquie dans leur intégration culturelle, politique et économique au reste du pays. Il est enfin urgent que la Turquie prouve sa réelle volonté de démocratisation sur le terrain et non plus uniquement dans des déclarations de bonnes intentions sans effet.

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