dimanche, juin 23, 2002

Urfa

10h20. Otogar. Attente jusqu'à 14 h d'un bus direct pour Malatya. Plutôt que de prendre un dolmush, qui partira quand il voudra, fera plein d'arrêts inutiles sur une route de montagne surchauffée, et arrivera finalement aussi tard que le "big bus", nous préférons attendre dans un çay bahçeli de l'otogar, à l'ombre. J'ai de quoi écrire, mes bouquins, que demande le peuple ?
En voyage comme dans toutes les affaires menées avec ce sacré peuple, le secret est de savoir perdre son temps. De renoncer au temps. être plus patient et immobile que les blocages eux-mêmes. S'assoir à l'ombre et laisser filer tranquillement les heures, comme s'il n'y avait que ça à faire et pour toujours. Alors soudain, le temps s'étrécit, les obstacles se lèvent, le monde se débloque avec une facilité surnaturelle. En gros, c'est comme être dans une file d'attente, devant un guichet hostile, ou dans une salle de consultation dont la porte reste obstinément fermée : il suffit de prendre un livre et de le lire, vraiment, pour qu'aussitôt la file d'attente se raccourcisse, que l'on s'enquiert de votre demande, que la porte s'ouvre en grand. C'est que l'on était prêt à perdre infiniment plus de temps qu'eux n'en disposaient. C'est pareil pour les Kurdes. Il faut toujours faire comme si l'on avait l'éternité pour soi. Et d'ailleurs, nous l'avons.En ce moment nous sommes gentiment abordées par une famille d'Arabes, un couple et trois fillettes adorables. Les fillettes arabes sont souvent très belles, fines, avec des yeux incroyables. Les femmes aussi sont plus avenantes, sympathiques. Naturellement, ils veulent un portrait de famille.
Parlé avec le petit serveur. Il dit que la pression existe encore, surtout dans les villages où les militaires briment encore les villageois. Ce qui est logique : les villes sont sous contrôle civil et policier, alors que les campagnes sont sous zone militaire, ce qui fait que la levée de l'état d'urgence y est relative. Il me dit aussi que beaucoup de villages ont été brûlés autour d'Urfa et qu'il y a eu beaucoup de tués. Il sait aussi qu'entre Cizre et Mardin c'est pire, qu'il n'y a plus rien. Tout le Kurdistan sait qu'entre Cizre et Mardin il n'y a plus rien.Il a 18 ans et son salaire est de 3 millions de lires par jour (environ 15 francs). En voyant la montre swatch de Roxane, décorée de papillons, il dit tout de suite "Hadep, Hadep". Il nous fait comprendre que c'est important, un symbole. Que les cadres bien planqués du parti aillent leur expliquer à ces jeunes qu'à présent le Hadep doit "se vider de sa substance" au profit d'un parti qui ne représente que 0% et des poussierès et qui est dirigé par un de ceux qui ont brûlé leur village et tué leur parents, sous prétexte que "chacun, à sa place, aurait agi de même..."

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